mardi 30 octobre 2007, par Eric L.
Cet article inaugure une série dédiée aux vestiges souterrains en Champagne : Galeries allemandes du mont Cornillet et du mont Perthois, tunnels du camp de Suippe, vestiges du Kanonenberg etc.
Le mont Sans-Nom est le plus oriental des monts de champagne.
D’ouest en est s’élèvent au dessus de la plaine agricole champenoise, le Cornillet, le mont Blond, le mont Haut, le mont Perthois (qui de mont n’a que le nom car il s’agit d’un simple promontoire), le Casque le Téton et le mont Sans Nom.
Le terme "s’élever" peut paraitre pompeux si l’on considère qu’aucun ne dépasse 260 mètres d’altitude.
Cependant, malgré leur faible altitude, ils n’en ont pas moins été l’enjeux de violents combats durant la première guerre mondiale.
Cinq des six hauteurs sont situées dans le massif de Moronvilliers actuellement terrain militaire ; le Mont Sans-Nom, plus à l’est est un boqueteau isolé d’environ six hectares. Cet ilot boisé au milieu des champs de betteraves est également zone militaire. Repris par les français lors des offensives de 1917, le mont Sans-Nom sera fortifié et aménagé, notamment par un tunnel dont le développement total avoisinait près d’un demi-kilomètre.
Le front de champagne qui s’étire entre Reims et la profonde forêt d’Argonne est fixé dès septembre 1914 approximativement sur une ligne qui passe par La Pompelle, Saint-Hilaire-le-Grand, Massiges et Ville-sur-Tourbe.
Les offensives de 1915 intéresseront le secteur est de cette zone, située au niveau de l’actuel camp militaire de Suippe. Elles sont connues sous le terme devenu tristement célèbre de "grignotage" ("Je les grignotte" disait le Général Joffre lorsqu’il défendait sa stratégie offensive). Ce grignotage sera payé au pris fort, puisque pour quelque dizaines de kilomètres carrés de gagnés en 1915, les historiens avancent le chiffre de plus de 200 000 tués, blessés ou disparus...
1916, l’enfer se trouve à Verdun ; le front de champagne est "relativement" épargné, si ce n’est quelques coups de main localisés.
1917, année charnière. Au printemps Nivelle lance son offensive sur le chemin des dames. En champagne, les troupes françaises attaquent le 17 avril sur le massif de Moronvilliers. Les allemands, établis depuis le début de la guerre, ont puissamment défendu ces positions. La plupart des hauteurs sont "truquées". Le 20 avril, la plupart des points hauts sont tenus. L’offensive, malgré l’énergique préparation d’artillerie, se soldera par de lourdes pertes.
Les français tiendront ces positions jusqu’en juillet 1918, date à laquelle la forte offensive allemande fera reculer le front de plusieurs kilomètres, avant d’être enrayée par la contre-offensive alliée qui se poursuivra jusqu’à l’armistice.
Plusieurs sites [1] et ouvrages sont consacrés au front de champagne et détaillent l’ensemble des opérations qui s’y sont passées.
Le 17 avril 1917, 4h45 du matin dans une tempète de neige fondue, la division marocaine attaque à l’est du massif de Moronvilliers. Cette division est composée des 4ème et 7ème régiment de marche de tirailleurs (RMT), du régiment de Marche Etranger et du 8ème Régiment de Marche des Zouaves (RMZ).
La prise du Mont Sans-Nom incombe au 8ème RMZ sous le commandemant du Lt-Col Lagarde. Malgré le terrain lourd et la boue champenoise, les zouaves sont au sommet du Sans-Nom 45 minutes plus tard et s’y installent en le fortifiant. La citation de ce régiment précise que plus de 500 prisonniers ont été fait et qu’une quantité importante de matériel et d’armes ont été prise à l’ennemi.
A l’est, dans le secteur du Golfe et d’Auberives, le reste de la division marocaine rencontre une forte résistance, qui se poursuivra jusqu’au 21 avril. A l’ouest du Mont Sans-Nom, la division Eon doit enlever le casque et le Téton. Plusieurs contre-attaques auront lieu depuis ce dernier point , jusqu’au 19 avril, date à laquelle le Téton sera finalement enlevé aux allemands. Le 20 avril, une dernière contre-attaque allemande vient se briser sur les tranchées reconquises quelques jours plus tôt.
Une étude détaillée des offensives d’avril 17 sur le massif de Moronvilliers est détaillée dans un article de l’Illustration [2] et dans le livre de Henri Bordeaux [3] qui reprend l’article pré-cité.
Le mont Sans-Nom deviendra une position de seconde ligne française durant plus d’un an.
Les français se sont donc rendus maitres du Sans-nom en Avril 1917, et ce, pour une durée de près de 15 mois. On a vu que dès le soir de l’offensive, les zouaves se sont fixés et ont commencé à fortifier le secteur, en prévision des contres-attaques allemandes qui pouvaient facilement venir de l’est du Téton. L’été et l’automne 1917 seront consacrés à la réalisation ou à la restauration de nombreux abris. Une note du 2ème génie, compagnie 17-56, recense pas moins de 58 abris souterrains dans le secteur élargi du mont Sans-Nom permettant d’abriter chacun de 3 à 50 hommes.
Mais, afin d’une part d’assurer cette position, et d’autre part de pouvoir observer les lignes allemandes toutes proches, il fallait pouvoir acheminer les hommes et le matériel sur le versant nord du Sans-nom tout en restant protégé des tirs de l’artillerie ennemie.
Ce fut chose faite, avec le percement d’un vaste réseau souterrain, réalisé par le génie entre septembre et décembre 1917. Nous allons maintenant détailler cet ouvrage :
L’entrée principale du tunnel s’ouvre sur le versant sud, à la cote 180. Une galerie annexe servait à l’évacuation des déblais de creusage.
A proximité de cette entrée, 6 salles ont été aménagées dans la craie afin d’accueillir un groupe électrogène, un poste de secours, un magasin, un dépôt d’essence et une chambrée et un poste de commandement.
Une note du génie [4] décrit les éléments de la galerie principale :
Une artère principale de 310 mètre environ en galerie majeure (2 m. x 2 m.10) orientée à peu près S.E. N.O. partant du point 38-4I aboutissant au point 36-44.
En 38-4I entrée Sud conduisant par une descente de IIm. inclinée à 20 % à la galerie qui a une pente ascendante de 2 %.
En 36-44 la galerie se termine en un cul de sac.
A l’extremité nord se détache 2 galeries.
la galerie Est conduisant à un puits de mitrailleuse M.3
la galerie Ouest conduisant à l’Observatoire de Constantinople
A 85 m. de l’entrée Sud l’artère centrale est coupée par une chicane avec traverse en béton.
Les galeries secondaires et alvéoles sont données par le croquis.
Deux de ces galeries sont des galeries de secours,
la troisième a servi à l’évacuation des terres
la quatrième aboutit à un puits.
Un plan du 2ème Génie, compagnie 17/56 a été dressé et mis à jour après les derniers travaux de décembre. On y retrouve les principaux éléments décrits ci-dessus ainsi que des travaux restant encore à réaliser.
L’observatoire de Constantinople, qui bénéficiait d’une vue imprenable sur le Téton, était relié à la galerie principale par un système de puits et de descenderie. Sous l’ouvrage bétonné pentagonal, un puits vertical de 11 mètres foré de mi-novembre à début décembre, aboutissait à un palier. Puis une descenderie à 45° longue de 13 mètres poursuivie par une galerie horizontale d’une quarantaine de mètres permettait de rejoindre la galerie principale.
Les travaux ont été menés d’une part depuis la surface pour le puits et la descenderie, et d’autre part depuis la galerie principale du tunnel pour la partie horizontale. Compte-tenu des dates de creusement relevées dans les archives, les équipes de travail se sont vraissemeblablement rejointes en bas de la descenderie.
Mi-décembre, un escalier tournant pour le puits et un escalier à crémaillère pour la descenderie ont été mis en place.
L’observatoire S.R.O.T. a quant à lui été réalisé antérieurement à celui précédement décrit (un document d’archive en date du 24/10/1917 en donne le plan). La liaison avec le tunnel du mont Sans-Nom est assurée, comme pour l’observatoire de Constantinople, par un puits vertical et une descenderie à 45° qui aboutit directement dans la galerie principale.
Deux alvéoles à la base du puits permettaient de se croiser.
La réponse est simple : rien d’accessible ...
En effet, la note du Chef de Bataillon Guillaume du 22 septembre 1918 est claire :
Des renseignements recuellis au Génie du 4e C.A., il résulte que les dispositifs de destruction du tunnel du Mont-Sans-Nom ont joué lors de l’offensive ennemie du 15 juillet 1918 [...]
Selon toute vraissemblance, les français auraient donc détruit l’ouvrage en se repliant sur les positions arrière lors de l’offensive allemande de juillet 1918 afin que celui-ci ne puisse servir à l’ennemi. Le tunnel aura donc été utilisé ... à peine plus de 6 mois !
Lors de notre visite sur le terrain, nous ne sommes bien entendu pas entrés dans la zone militaire au sommet du Sans-Nom ; les panneaux présents au périmètre de cette zone promettant les pires sévices aux personnes osant outre-passer l’interdiction...
Si nous avions pu le faire, nous nous serions rendu compte qu’au milieu des taillis épineux impénétrables, seuls quelques vestiges bétonnés disloqués par les bombardements sont encore visible, dont un puits bétonné qui devait jadis communiquer avec l’ouvrage souterrain du Mont-Sans-Nom.
Nous aurions également pu constater qu’il ne subsiste plus rien de obervatoire SROT ni de celui de Constantinople.
Enfin, aux emplacements des deux entrées sud, s’étendent maintenant de vastes champs de betteraves. A peine peut-on encore distinguer sur les photos aériennes, les traces des principales tranchées ainsi que la zone de ces entrées de ce vaste tunnel qui s’il n’a pas joué un rôle stratégique, a néanmoins mobilisé plusieurs compagnies du Génie pour son percement et pour la réalisation des ouvrages bétonnés associés.
Notes :
[1] dont "Le Front de Champagne" : http://perso.orange.fr/champagne1418/index.htm
[2] Article paru dans l’Illustration le 04 Aout 1917. Voir : http://souterrains.vestiges.free.fr/spip.php ?article31
[3] Henri Bordeaux, La Terre de France reconquise. 1938, Paris, Plon. 357 p.,
[4] Note du 22 septembre 1918 du Chef de Bataillon Guillaume commandant les unités du génie de la 163ème DI