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    La conquête du massif de Moronvilliers

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    mercredi 17 octobre 2007, par JFW

    LA CONQUÊTE DU MASSIF DE MORONVILLIERS

    (17 AVRIL-20 MAI 1917)

    Moronvilliers, un beau nom de victoire qui vient se joindre, sinon aux noms libérateurs de la Marne, des Flandres, de Verdun, de la Somme, du, moins à ceux qui résument une heureuse opération à objectif limité, comme la victoire de Douaumont-Vaux (21 octobre-3 novembre 1916), comme celle de Louvemont-Bezonvaux (15 décembre 1916).

    Le massif de Moronvilliers est une formidable forteresse qui, à l’Est de Reims, domine, surveille et barre les plaines de Châlons. On peut dire : la prise du massif de Moronvilliers, car ce lut un véritable siège. Préparée longtemps à l’avance, patiemment d’abord, puis avec une tranquille et savante audace par le général Pétain, qui commandait alors le groupe des Armées du Centre et à qui succéda le général Fayolle lorsque le général Pétain lut nommé chef d’état-major général, puis généralissime, l’opération a été exécutée par le général Anthoine, commandant la IVe Armée. Elle se relie à l’ensemble des offensives convergentes entreprises au mois d’avril par les armées britannique et française, l’une entre Givenchy et Quéant, l’autre sur l’Aisne et en Champagne, et de ces offensives convergentes elle a été, du côté français, l’opération la mieux établie en même temps que la moins coûteuse.

    Sans doute, aucun épisode de la guerre ne peut-il être détaché sans qu’on risque de perdre de vue le but général ; cependant, il est aisé de présenter à part cette bataille de Moronvilliers qui, entre le 17 avril et le 20 mai, au prix de pertes relativement peu élevées, nous a valu la conquête du massif et le dégagement des plaines de la Champagne.

    Un journal anglais commentant la dernière offensive anglo-française rappelait qu’après la Marne la ligne occupée par les Allemands sur le front occidental présentait une ligne ininterrompue d’observatoires, commençant à Notre-Dame-de-Lorette et s’étendant par Vimy, le Chemin des Dames, Moronvilliers, Montfaucon et les Eparges jusqu’à l’Hartmannswillerkopf, et que deux tiers au moins des batailles livrées depuis septembre 1914 ont eu pour objet l’occupation de ces points d’observation qui sont maintenant presque tous entre les mains des Français et des Anglais.

    La bataille de Moronvilliers est une de ces batailles d’observatoires.

    Avant qu’elle fût gagnée, aucun mouvement, aucun travail ne pouvaient s’accomplir dans la plaine de Mourmelon et du camp de Châlons sans risquer d Ãªtre surpris par les Allemands ; toute cette vaste région était pour ainsi dire sous leur dépendance, soumise à la servitude de leurs vues ; on petit imaginer aisément la gêne, la contrainte imposées à toutes nos organisations et préparations. De plus, la possession du massif de Moronvilliers et de toutes ses pentes Sud fournissait à l’ennemi une excellente base de départ au cas où il tenterait de reprendre un jour, sur Châlons, la marche interrompue si brusquement en septembre 1914 par la victoire de la Marne. Enfin, elle semblait lui garantir, a lui-même, la sécurité en couvrant la vallée de la Suippe. Comment oserait-on se porter contre une telle muraille ? Il ne pouvait guère imaginer manoeuvre d’une telle hardiesse.

    Cette manoeuvre, nous l’avons tentée et réussie. Pour se rendre compte de ses difficultés, de sa quasi-invraisemblance, de la préparation et des troupes qu’elle exigeait, il faut connaître le terrain ou s’en faire une idée exacte. Vous quittez Châlons dans la direction de Reims : une route droite qui coupe une vaste plaine aux longues ondulations. A la Veuve, vous prenez le chemin de Mourmelon-le-Grand. Au sortir de Mourmelon, deux routes s’écartent en forme de fourche, l’une allant à Aubérive, l’autre à Prosnes. Tout l’horizon compris entre les deux branches de la fourche est barré par le massif de Moronvilliers. (Voir plus loin le profil et la vue cavalière.) La Suippe le contourne, remonte à Aubérive vers le Nord, pour reprendre à Bétheniville son cours à l’Est avant d’aller se jeter dans l’Aisne. A sa gauche, il a le massif de Nogent-l’Abbesse, qui redescend sur Beine, Nogent-l’Abbesse qui porte la menace sur Reims, mais que Moronvilliers menace à son tour.

    La bataille est aujourd’hui inscrite sur le terrain. En effet, au-dessus des flots verdoyants de la plaine pareille à une mer, le massif forme un îlot couleur d’ocre. Ses pentes, jadis boisées ou recouvertes de prairies, ont été si pilonnées, écrasées, bouleversées, qu’elles ont pris une teinte uniforme, celle des paysages morts des moraines alpestres, celle des destructions humaines, la teinte de Douaumont et de Vaux, de Combles et de Maurepas. Il n’y a qu’une forteresse pour avoir été battue pareillement par l’artillerie. Partout ailleurs, le printemps a recouvert la terre : ici, il a dû se reconnaître impuissant. On dirait une dune de sable, ou les ruines gigantesques et aplaties de quelque prodigieuse barrière au dessin décoratif édifiée au bout des plaines de Châlons.

    Il faut avancer au delà de la chaussée romaine qui allait de Reims à Saint-Hilaire-le-Grand et qui court presque parallèlement au massif. Le massif rapproché livre ses détails. De l’Ouest à l’Est, entre la route de Thuizy à Nauroy à l’Ouest, et le cours de la Suippe qui vient baigner Aubérive à l’Est, on a devant soi le bois de la Grille, rectangle noir aujourd’hui clairsemé, qui vient s’appuyer aux pentes du mont Cornillet (209 m.), défendu sur sa droite par l’épaulement du mont Blond (221 m.). La chaîne se continue avec le Mont-Haut (257 m.), qui est le point culminant et qui se divise en deux sommets à peu près de même hauteur séparés par une légère déclivité plutôt que par un col ; puis, tandis que le mont Perthois s’en détache en avant, elle forme le Casque (242 m.), ainsi nommé à cause de soit léger redressement à la crête et du cimier que lui faisait un bois, et le Téton (232 m.), mamelon dont le nom donne l’image, pour revenir de nouveau en avant avec le Mont-sans-Nom (220 m.) et la cote 181 qui s’abaisse dans la direction d’Aubérive. En somme, la chaîne se compose de sept on huit sommets aux formes arrondies, dont le mont Blond et le Mont-sans-Nom sont les contreforts avancés du côté de la plaine.

    Telle est la muraille qui ferme la plaine de Châlons et qu’il s’agissait d’emporter. De la route de Thuizy-Nauroy à Aubérive, elle a plus de dix kilomètres. De nos tranchées aux tranchées allemandes, la distance était, selon les endroits, de 50 à 500 mètres. De nos tranchées à la ligne des crêtes, comme l’orientation par rapport à notre base de départ était du Sud-Ouest au Nord-Est, il fallait compter de 1.500 à 2.500 mètres. Le terrain à parcourir était un glacis en pleine vue. On peut calculer sa pente. On peut se représenter l’importance et la hardiesse de l’entreprise. Elle ne petit guère se comparer qu’à l’assaut de la crête de Vimy ou à celui du Chemin des Dames.

    II L’ORGANISATION ALLEMANDE

    Depuis le mois de septembre 1914 où, dans leur retraite, ils s’étaient installés sur cette redoutable situation, les Allemands n’avaient pas cessé de se fortifier. Sur la rive Sud de la Suippe, ils avaient organisé le terrain avec trois positions, plus une position intermédiaire. Notre ancienne première ligne de tranchées, au delà de la Chaussée romaine, dépassait le bois des Bouleaux, tenait le bois en Triangle, le bois Neutre, coupait le bois Horizontal au-dessus du bois Noir, suivait le bois des Guetteurs, le bois en T, et atteignait, au Sud d’Aubérive, le bois des Sapins. Cette série de boqueteaux et de sapinières fait encore aujourd’hui des taches sombres sur la plaine rase. La première ligne de défenses allemandes se composait d’un enchevêtrement de tranchées sur deux ou trois parallèles reliées par des boyaux et soutenues par des abris bétonnés, des fortins, des redoutes. Une seconde ligne à mi-pente était formée par la suite ininterrompue de la tranchée de Leopoldshöhe au bois de la Grille, de la tranchée d’Erfurt longeant le Cornillet et le Perthois, continuées par les tranchées du bois du Chien au pied du Casque, du Landtag au pied du Mont-sans-Nom, avec un bon réseau de défenses accessoires. Enfin les crêtes étaient entourées d’une fortification sur la pente Sud et d’une autre à contrepente, en sorte que les sommets devenaient des centres de résistance et laissaient en arrière une ligne de retraite difficile à atteindre par la préparation d’artillerie et favorable aux contre-attaques. Deux tunnels à plusieurs entrées, l’un au mont Cornillet, l’autre au mont Perthois, et pouvant contenir un ou plusieurs bataillons, avaient été aménagés sur cette contre-pente pour abriter une garnison précisément destinée à contre-attaquer et parer à toute progression. Trois grands boyaux permettaient de communiquer avec l’arrière.

    Entre la route de Nauroy et Aubérive, quatre divisions accolées tenaient le front allemand. C’étaient, de l’Ouest à l’Est, les 29e, 214e, 58e et 30e divisions. La 29e avait fait partie à l’origine du XIVe corps badois : c’était une division homogène, bien instruite et énergiquement commandée. De même, la 58e division saxonne, avait fait ses preuves. La 30e comptait un bon régiment, le 105e ; les deux autres étaient de qualité médiocre. La 214e, division nouvelle, paraissait peu homogène. Les trois régiments de chaque division étaient accolés et échelonnés de la façon suivante : un bataillon en première ligne, un bataillon en réserve dans la tranchée d’arrêt, appelée Hauptriegel (ligne de couverture d’artillerie ou position intermédiaire), et dans les abris souterrains situés au Nord de cette tranchée, enfin un bataillon au repos. Ce dispositif en profondeur permettait d’assurer l’occupation et la défense immédiate et sur place de la première position, de la position intermédiaire et de la deuxième position, et d’employer les contre-attaques. Les attaques et contre-attaques devaient être étayées par les troupes de choc, sturmkompagnies attachées à chaque division, sturmbataillons attachés à l’armée.

    lignes principales de l’organisation allemande du massif de Moronvilliers en avril 1917

    Quatre autres divisions, signalées avant l’offensive du 17 avril, devaient intervenir dès les premiers jours dans la bataille : la 23e qui était dans la région de Sedan, la 32e relevée de la Somme (alertée le 15 avril, débarquée au Nord de Rethel et amenée dans la région de Neuville-en-Tourne-à-Fuy, le 103e régiment allant jusqu’à Pont-Faverger), les 5e et 6e venues d’Alsace, plus les éléments d’autres divisions.

    A la date du 1er avril, on pouvait repérer près de cent cinquante batteries allemandes sur ce front, tant à l’Ouest qu’à l’Est de la Suippe. Mais, à partir du 1er avril, et plus encore à partir du 11, l’artillerie ennemie est renforcée, et le nombre des batteries dépasse certainement deux cents, s’il n’atteint pas deux cent cinquante.

    Y eut-il surprise en Champagne ? Un ordre communiqué dès le début d’avril par voie d’affiche prévenait les troupes de la Vlle armée allemande de la prochaine offensive française dans la région de Soissons-Reims. Mais le commandement allemand ne paraissait pas s’attendre à ce que l’offensive s’étendît à l’Est de Reims. Des déclarations d’officiers faits prisonniers dans la journée du 17 avril nous livrent cette indécision du commandement. Le général commandant la 214e division, dans une réunion d’officiers supérieurs tenue au temps de Pâques, aurait exprimé sa satisfaction d’avoir enfin des renseignements certains sur les opérations projetées par les Français : la découverte d’un document sûr permettait d’affirmer en effet que la limite Est de l’attaque française ne dépasserait pas Reims, et qu’entre Reims et Aubérive il n’y aurait qu’une démonstration d’artillerie destinée à tromper l’ennemi sur l’action projetée. Ce point de vue fut adopté par le général de Beaulieu, commandant le 14e corps d’armée. Le général von Gersdorf, qui commandait la 58e division, émit avec une grande conviction un avis contraire. La discussion fut si violente que le général von Gersdorf demanda à être relevé de son commandement, ce qui fut fait. Il fit part à son successeur de sa décision dans les termes suivants : Infolge einer heftigen Auseinaudersetzuny mit dem Korpskommandeur habe ich mich genâtigt geschen, meinen Abschied zu nehmen. Ich bitte, dies den Offizieren und Mannschaften bekannt zu geben. (A la suite d’une discussion avec le commandant du corps d’armée, je me suis vu contraint de demander mon renvoi ; je vous prie d’en faire part aux officiers et hommes de troupes.) Cependant un autre document, trouvé sur un commandant de compagnie fait prisonnier, nous montre que l’ennemi, sur certains points du front attaqué, s’attendait à l’offensive du 17 avril : « Après avoir reçu des renseignements aussi exacts que ceux que nous avons sur l’attaque projetée, y est-il dit, toute possibilité de surprise des troupes dans les abris doit être exclue. Les postes doivent, coûte que coûte, observer et donner l’alarme à temps. Tous les fusils et mitrailleuses ont à faire feu. Les grenades à la main. En dehors des abris, mettre aussitôt baïonnette au canon. Bonne chance et victoire. » Des documents saisis et des interrogatoires de prisonniers, on peut conclure que l’ennemi, au début d’avril, ne s’attendait certainement pas à être attaqué sur le front de Moronvilliers. Notre préparation d’artillerie fut telle qu’après avoir été prise pour une simple démonstration destinée à lui donner le change, elle le fixa peu à peu sur nos intentions d’offensive. Le 16, assailli entre Soissons et Reims avec la dernière violence et obligé de faire appel à des divisions de renfort, loin de dégarnir son front à l’Est de Reims, il en rapproche ses réserves. Il attendait plein d’anxiété que notre mouvement se dessinât.

    III. - LA PRÉPARATION

    Une offensive, dans la guerre actuelle, est précédée de toute la série des travaux qui sont destinés à mettre en état le terrain d’attaque. Elle est un aboutissement avant d’ouvrir elle-même une ère nouvelle. Elle est elle-même en fonction de cette préparation. Les arrières d’une armée en gestation d’offensive se transforment en d’immenses chantiers. Les travailleurs précèdent les combattants. Cependant, l’affaire de Moronvilliers avait été si minutieusement étudiée et préparée à l’avance, qu’elle fut rendue réalisable dans un temps relativement très restreint, ce qui, sans nul doute, contribua à égarer l’ennemi. Les constructions poussaient sur le sol comme des fruits naturels, car leurs emplacements étaient choisis à l’avance, leurs matériaux rassemblés et leurs plans arrêtés.

    La bataille de Verdun et celle de la Somme avaient montré la nécessité de pouvoir disposer, en arrière des armées, d’un réseau ferré puissamment outillé, et susceptible d’assurer dans l’offensive et dans la défensive les renforcements, les relèves et les ravitaillements pour le maximum de forces que comporte le front. Ainsi le réseau ferré fut-il complété par des doublements ou des prolongements de voies normales et de voies de 0 m. 60, par l’amélioration des gares et des triages, par l’installation de puits d’eau supplémentaires. Le réseau routier fut lui aussi réparé, empierré, augmenté. Ainsi une circulation aisée était-elle assurée au transport des troupes, des blessés, des munitions, des vivres, des matériaux.

    Des hôpitaux d’évacuation furent créés pour soulager immédiatement les hôpitaux et les ambulances du front. Les règles de la circulation pour les convois furent strictement fixées, afin d’éviter tout embouteillage, tout retard dans les transports, spécialement dans ceux des blessés.

    Qu’on ajoute l’installation des dépôts de munitions, la construction des abris, des postes de commandement, des parallèles de départ, la mise en place des batteries, l’organisation des liaisons à quoi le commandement apporta ses soins les plus obstinés et qui fonctionnèrent avec une régularité et une sûreté jamais atteintes encore ; qu’on imagine les difficultés du mauvais temps, l’obligation de se soustraire aux vues de l’ennemi qui, de ses observatoires, dominait toute notre sphère d’action, et l’on pourra se faire une idée de l’effort, que représente la préparation d’une offensive comme celle qui visait à la conquête du massif de Moronvilliers.

    L’action peut se décomposer en deux attaques : une attaque frontale principale ayant pour but la possession du massif de Moronvilliers et l’enlèvement d’emblée de toutes les organisations de l’ennemi sur les pentes Sud de ce massif, et une attaque secondaire sur le village d’Aubérive et l’organisation du Golfe qui devaient tomber par encerclement.

    La préparation d’artillerie commença le 10 avril. Elle devait durer normalement cinq jours, pour mener à bien les destructions nécessaires et les contrebatteries, chercher et atteindre les noeuds de communication, les, dépôts de munitions et de matériel, interdire les routes, écraser les cantonnements et les bivouacs, et, plus spécialement, bouleverser et détruire les premières et secondes lignes ennemies, la ligne intermédiaire, la ligne des crêtes, la ligne à contre-pente, but plus malaisé, puisqu’il échappait à nos observatoires terrestres.

    L’étude des photographies prises en avions, confirmée par les déclarations de prisonniers, a permis de constater que la destruction des organisations ennemies ait cours de cette préparation d’artillerie avait atteint les résultats suivants

    a) Première ligne. Organisations partout détruites, en particulier au Sud du Mont-sans-Nom, où les observatoires et les emplacements de mitrailleuses ont été complètement retournés. Aux endroits où les fils de fer n’avaient pas été complètement détruits, les brèches étaient suffisantes pour permettre le passage de l’infanterie.

    b) Position intermédiaire. Très bouleversée d’une façon générale, mais avec des lacunes dans les régions suivantes : tranchée de Leopoldshöhe et bois de la Grille ; le Constancelager, redoute avec abris souterrains (au Nord de la tranchée d’Erfurt, entre le mont Blond et le Mont-Haut), fortement atteint quelques jours avant l’attaque, mais où des mitrailleuses ont été déplacées et ont pu se maintenir jusqu’au 18 avril ; à l’Est, vers la cote 144, où de nombreuses brèches ont été faites dans les réseaux de fils de fer de la région boisée, mais n’étaient pas dans le prolongement les unes des autres.

    c) Deuxième position. Démolie en un certain nombre de points : tranchées Sud du mont Cornillet, du mont Blond, du Mont-Haut. Mais les tranchées réunissant les réduits ont été épargnées dans une certaine mesure. Les observatoires de toute la ligne des hauteurs ont été détruits, en particulier ceux du Cornillet, du Mont-Haut et du Téton, mais les postes de commandement et les postes centraux téléphoniques n’ont pas été bombardés au point de ne plus pouvoir fonctionner.

    d) Arrière. — Les camps ont été simplement gênés par le bombardement, mais non détruits. En revanche, l’interdiction des trois grandes voies de communication débouchant de Saint-Masmes, Pont-Faverger, Bétheniville, a été très efficace.

    Ces renseignements expliquent dans une certaine mesure la marche que suivra notre attaque, très brillante au centre (première ligne détruite, tranchée d’Erfurt détruite), sauf au Constancelager, où un groupe d’Allemands énergiquement commandé et muni de mitrailleuses se maintiendra jusqu’au 18 avril ; arrêtée à l’Ouest après la première ligne devant le réduit du bois de la Grille et la tranchée de Leopoldshöhe ; confuse et difficile à l’Est dans la région du bois de la cote 144 tout rempli de fils de fer et où les brèches étaient irrégulièrement faites. Si achevée que soit la préparation d’artillerie, elle ne peut être absolument complète, et le rôle de l’infanterie exige, outre l’élan et la force de résistance, une ingéniosité exceptionnelle pour tourner ou vaincre les obstacles.

    Sur les 200 à 250 batteries ennemies repérées, près de 120 furent soumises à des tirs de destruction observés jusqu’au bout. Ces tirs commencèrent le 6 avril, mais ne purent être poussés activement avant le 11 à cause du mauvais temps. Seules les journées du 11 au 15 furent favorables à l’observation aérienne.

    L’attaque sur le massif de Moronvilliers devait suivre à un jour d’intervalle l’offensive des armées voisines entre Soissons et Reims. Le mauvais temps la fit retarder de deux jours. Il tombait une pluie glacée, de la neige. Les avions ne pouvaient remplir utilement leur mission de renseignement. Le 16 avril, la bataille sur l’Aisne se déclencha. L’attaque de l’armée Anthoine, en Champagne, fut donc fixée au 17. La brève note, qui fixe le jour et l’heure, ajoute : « Chacun pensera à ce que la France a souffert, à ce qu’il a souffert lui-même, dans ses proches, dans ses camarades, et la sainte haine des bourreaux conduira nos bras vengeurs. »

    Le 16 au soir, les nouvelles de la bataille de l’Aisne sont les suivantes :

    Entre Soissons et Reims, après une préparation d’artillerie de plusieurs jours, les lignes allemandes ont été attaquées sur un front de 40 kilomètres. La bataille a été acharnée sur tout le front où l’ennemi avait groupé des forces très importantes et une nombreuse artillerie. A la fin de la matinée, après de durs combats, de la droite à la gauche, nous avions obtenu ces résultats à droite, nos troupes s’étaient emparées de Courcy, Loivre et Berméricourt ; nous avions pénétré dans la deuxième position ennemie entre l’Aisne et la petite rivière de la Miette ; devant le plateau de Craonne, nous avions atteint le Chemin des Dames, mais sans pouvoir le dépasser, et la situation y demeurait précaire à cause de la résistance de quelques îlots fortifiés tels que le Monument d’Hurtebise et la sucrerie de Cerny, et à cause de toutes les creutes, des abris-cavernes où des garnisons bien approvisionnées continuaient à se défendre. A l’Ouest, un corps colonial avait enlevé Laffaux et la ferme Moisy.

    De terribles contre-attaques allemandes étaient menées l’après-midi sur le terrain que nous avions conquis. Après des échecs réitérés, elles parvenaient à nous reprendre Berméricourt, Laffaux, une partie du Chemin des Dames.

    Le chiffre des prisonniers que nous avions faits dépassait 10.000 ; nous avions également capturé un matériel important, non encore recensé.

    La bataille en était à ce point quand l’action sur Moronvilliers s’engagea le 17 avril. Si elle ne permettait plus le dégagement complet de Reims, la prise du massif demeurait un but de première importance.

    IV. - LA BATAILLE DU 17 AU 20 AVRIL

    Le départ était fixé à 4 h. 45 dans le but de protéger contre la vue des observatoires élevés ennemis les formations denses des divisions françaises massées dans nos premières lignes pour franchir en bloc la zone de barrage ennemie probable avant de s’échelonner ultérieurement pour l’attaque. Cette heure avait été choisie comme correspondant au petit jour en s’en référant à la clarté d’un jour normal. En fait, la nuit précédant l’attaque fut marquée par une tempête de pluie et de neige fondue et, à 4 h. 45, le 17 avril, il faisait nuit noire et il soufflait une violente bourrasque. Les avions et ballons ne purent sortir, ce qui compliqua le commandement, bien que les liaisons fussent rigoureusement établies et aient parfaitement fonctionné.

    L’armée d’attaque avait été divisée en deux groupements : à notre gauche, le groupement Hély d’Oissel ayant pour objectif le bois de la Grille, le mont Blond et le Cornillet, et composé de la division Le Gallais et de la division de Lobit, celle-ci renforcée d’un régiment de la division Serot-Almeras à notre droite, le groupement J. B. Dumas ayant pour but le Mont-Haut, le Casque, le Téton, le Mont-sans-Nom, le Golfe et le village d’Aubérive, et formé des divisions Naulin, Eon, Degoutte et d’une partie de la division Mordacq.

    Les régiments, à l’heure prescrite, se jetèrent d’un élan magnifique dans la nuit qui se prolongeait, mais cette obscurité fut tantôt favorable et tantôt nocive. A notre extrême gauche, un régiment de la division Le Gallais (le 95e) avait atteint, au delà du bois de la grille traversé, la tranchée de Leopoldshöhe qui était son objectif, mais les deux autres régiments de la division se heurtèrent à des nids de mitrailleuses non détruits et à cette tranchée intacte, et leur progression s’arrêta.

    Le succès de la division de Lobit était, au contraire, complet. Les deux régiments de tête, grâce à l’obscurité et à la bourrasque, franchirent les deux ligues de tranchées ennemies partiellement détruites et passèrent au travers d’une zone de postes de mitrailleuses bétonnés, qu’un savant camouflage rendait invisibles. Ils parvinrent du même élan et au prix de peu de pertes jusqu’à la crête du mont Blond et du Cornillet. Ce beau succès ne peut être poussé au delà des crêtes, car la division de Lobit se trouve en flèche. A sa droite, la division Naulin, qui a franchi avec aisance les premières lignes et même la tranchée d’Erfurt, a été arrêtée au delà par les abris souterrains et fortifiés de Constancelager. L’ordre est donné de ne pas envisager pour le moment la continuation du mouvement en avant, mais d’assurer solidement la possession de la crête Cornillet - mont Blond et les liaisons avec les divisions voisines.

    La division Naulin a donc rencontré de grandes résistances, notamment au Bois en Escalier. A partir de la tranchée d’Erfurt qui, bien que défendue par des mitrailleuses, a été franchie dès 5 h. 45 du matin, la progression est ralentie par une série de redoutes et fortins qu’il faut réduire un à un par d’énergiques attaques à la grenade. Les fortifications de Constancelager suspendent cette progression. Le Mont-Haut, qui était le but, n’a pu être atteint. De même, la division Eon, qui doit s’emparer du Casque et du Téton, trouve une résistance acharnée au bois du Chien et à la tranchée Oldenburg.

    Les zouaves de la division Degoutte atteignent la crête du Mont-sans-Nom, tandis que les tirailleurs enlèvent le Bois Allongé et que la légion étrangère progresse dans la tranchée du Golfe et prépare l’encerclement d’Aubérive que la division Mordacq menace par la prise du petit Aubérive à l’Est de la Suippe.

    La journée du 17 a donc été inégalement fructueuse. Elle nous a donné le Cornillet et le mont Blond, à gauche ; à droite, elle nous a permis une progression de près de 2.000 mètres, qui nous donne le Mont-sans-Nom et qui menace le Mont-Haut, le Casque, le Téton et Aubérive. Les nombreuses contre-attaques de l’ennemi, entreprises pour nous enlever nos gains, échouent et lui causent de grandes pertes.

    Le 18 est pour notre gauche une journée de consolidation. Nous tenons la crête du mont Blond, le début de la tranchée de Flensburg, la tranchée Sud du sommet du Cornillet. Notre front au bois de la Grille s’est amélioré.

    Au centre, une concentration violente d’artillerie, effectuée à partir de 7 heures, a permis à la division Naulin de forcer les abris redoutables de Constancelager et de pousser des éléments jusqu’à la crête des deux Mont-Haut. La division Eon nettoie des îlots de résistance et se rapproche de son objectif. Enfin la division Degoutte affermit sa possession du Mont-sans-Nom, progresse dans le Golfe et tend la main à la division Mordacq, qui menace Aubérive.

    Le 19 est marqué par de très violentes réactions ennemies. Au bois de la Grille, au mont Blond et au Cornillet, les contre-attaques échouent contre nos barrages ou nos feux d’infanterie. La situation se stabilise. De même au Mont-Haut, où la ligne des crêtes est tenue. Mais la division Eon a repris à la pointe du jour son mouvement sur le Casque et le Téton. A 5 h. 30, le Téton est enlevé d’un seul élan. Les combats à la grenade continuent dans la région du Golfe, où se produisent bientôt des contre-attaques allemandes. Cependant, Aubérive, encerclé par la légion et des éléments de la division Mordacq, tombe entre nos mains ; des artilleurs et des patrouilleurs d’une brigade territoriale y pénètrent les premiers. La division Mordacq a franchi la Suippe et la légion a atteint le fortin Sud de Vaudésincourt.

    Dans la nuit du 19 au 20, trois contre-attaques ennemies sont repoussées ; au bois de la Grille, sur les pentes Est du Mont-Haut et à l’Est du Téton. A la suite d’un combat qui a duré toute la nuit, le sommet du Téton a été perdu. Mais à la fin de l’après-midi du 20, nous avons repris pied sur le Téton et nous sommes emparés du Casque. Ce même soir, une nouvelle contre-attaque allemande échoue contre nos positions du Mont-Haut.

    Cette contre-attaque est reprise le 22 et réussit à refouler nos éléments avancés mais nous revenons à la charge et reprenons le sommet de l’un des Mont-Haut. De même dans le Golfe d’Aubérive, où nous regagnons le terrain perdu.

    Ainsi, entre le 17 et le 20, nous avons pris une partie du bois de la Grille, la tranchée Sud du Cornillet, le mont Blond, le Mont-Haut en partie, le Casque en partie, le Téton, le Mont-sans-Nom, le Golfe et Aubérive. Cependant nos possessions sont précaires et demandent à être consolidées par des actions de détail.

    Le nombre des prisonniers capturés au cours de ces journées est de près de 5.000. Le matériel dénombré comprend 50 canons, 103 mitrailleuses, 42 minenwerfer.

    Il faut maintenant reprendre en détail chacune des opérations.

    a) LE BOIS DE LA GRILLE

    La division Le Gallais, à l’extrême gauche de notre dispositif, opère entre la lisière Ouest du bois de la Grille et la route de Thuizy à Nauroy. Le bois de la Grille, de forme rectangulaire, présente la face étroite de son rectangle. Il est le premier objectif ; le second sera la tranchée de Leopoldshöhe. Une première difficulté viendra de l’obscurité. Pour se guider dans ce bois que l’artillerie n’a pas entièrement détruit, et sur ce terrain chaotique, la boussole et la carte sont nécessaires. De plus, la manoeuvre à réaliser, pour nous couvrir sur notre gauche, exige, après la marche en avant droit sur l’objectif, une conversion à gauche.

    La division Le Gallais est composée de régiments qui ont fait leurs preuves à la redoute du Bois Brûlé, an cours des opérations de 1915 sur le bois d’Ailly, en Woëvre, et ait village de Douaumont qu’ils ont tenu à la fin de février 1916, au début de la bataille de Verdun, quand le fort de Douaumont était, perdu. Les trois régiments marcheront accolés, disposés au départ en profondeur par bataillons successifs. Seul le régiment de gauche, le 95e (lieutenant-colonel Seupel), atteint son objectif. Le régiment de droite est arrêté par une violente résistance à la tranchée de Wahn. Le régiment du centre a pu progresser au delà de cette tranchée dans le bois de la Grille. Mais, dès 9 heures du matin, les contre-attaques allemandes se succèdent avec acharnement. Le 95e est, refoulé pied à pied. Manquant de grenades, il vient s’établir à cheval sur les premières lignes allemandes et il s’y maintient. Dans l’après-midi et la soirée il réussira à gagner du terrain sur sa gauche. Cependant les deux régiments voisins ont réussi à briser l’obstacle de la tranchée de Wahn, dans la direction de Leopoldshöhe. Cette progression est arrêtée par les contre-attaques, et il faut se maintenir dans la tranchée de Wahn conquise.

    Le 18, on s’organise sur le terrain, et l’artillerie reprend sa préparation. Le 18 au soir, le lieutenant-colonel Seupel, qui commande le 95e, est blessé et évacué. Le commandant Barillot, qui prend sa place, est blessé à son tour. Du dépôt divisionnaire arrive le commandant Barriève, un vieux du 95, qui a dépassé la, cinquantaine et que sa santé avait momentanément éloigné de son commandement. Il rejoint son corps par une nuit noire ; en route il a appris la mort de son fils, sergent au 95e, tué en allant couper des fils de fer dans le bois de la Grille. Le voici qui s’installe dans l’abri boche qui lui sert de P.C. : il se fait rendre compte de la situation pour sa prise de commandement, félicite son cher 95e de la nouvelle page héroïque ajoutée au livre de gloire, prend ses dispositions pour le lendemain, puis, son devoir étant accompli, il demande

    • Maintenant, parlez-moi de mon fils.

    Le 19, tandis que nous reprenons notre préparation d’artillerie sur le réduit du bois de la Grille, une très violente attaque allemande se produit sur notre aile gauche, menée par un régiment fraîchement débarqué, le 145e prussien. Nos hommes, bien que fatigués par deux jours et deux nuits de combats ininterrompus, tiennent tête à l’ennemi et le repoussent soit par le feu, soit par une charge à la baïonnette. Nouvelle tentative allemande le 20 sur la lisière Ouest du bois de la Grille, pareillement repoussée. L’action qui doit nous assurer en totalité la possession du bois de la Grille est ajournée en raison des destructions incomplètes du fortin. Le bois rend les observations difficiles.

    un bataillon de la division Brulard abordant la ligne de cette crete qui va etre progressivement conquise dans la journée

    b) LE CORNILLET ET LE MONT BLOND

    C’est la division de Lobit qui est chargée de les prendre : une division aux contingents de la Gascogne, du pays de Foix et du pays basque, à la fois endurante et pleine d’entrain. Les deux régiments de tête, le 59e et le 83e, auront l’honneur de la conquête.

    Le départ se fait malgré les ténèbres, dans un ordre parfait. Les bataillons s’engouffrent dans la nuit. Une heure plus tard, on les verra gravissant les pentes dans un coup de soleil qui, brusquement, déchire les nuages. Mais les nuages reparaîtront. Des résistances locales ralentissent la marche sans l’arrêter. Les grenadiers ouvrent la voie, nettoient des abris, prennent des retranchements et des mitrailleuses, font des prisonniers. Le sous-lieutenant Cousturian tue lui-même d’un coup de revolver l’officier qui commande une compagnie de mitrailleuses et tombe mortellement frappé comme il entraîne ses hommes au cri de : Vive la France ! Ses sous-officiers sont tous mis hors de combat ; le commandement de la section passe au caporal Artagnan qui la conduira sur le mont Blond.

    Le capitaine adjudant-major Glade, avec les grenadiers du 3e bataillon du 59e, s’empare d’un ouvrage fortifié où il capture 70 prisonniers, dont 1 capitaine, et prend 2 mitrailleuses. La résistance ennemie est particulièrement acharnée sur notre gauche. Le commandant Marienval, qui commande le 2e bataillon du 83e, tombe frappé à bout portant par un officier allemand. Le commandant Leixelard, commandant le 1er bataillon, est grièvement blessé par un éclat de grenade. Au moment où il vient de tomber, un soldat allemand lui place l’extrémité de son fusil sur la tempe, et il n’est sauvé que par l’intervention d’un officier allemand qui empêche le soldat de presser la détente. Outre les deux chefs de bataillon de première ligne, 5 officiers du 83e sont tués et 1 blessé au cours de cette première phase.

    Moins d’une heure après le début de l’attaque, la tranchée d’Erfurt est occupée. Les Allemands réfugiés dans les abris sont tués ou faits prisonniers. La progression se poursuit en dépit des tirs de l’artillerie ennemie et du feu des mitrailleuses, et, à 6 h. 45, l’infanterie a atteint la ligne fixée pour le premier bond, sauf à l’extrême gauche où, découverts sur le flanc, nous sommes arrêtés au débouché des boyaux Hoenig et Dusseldorf qui remontent à la tranchée d’Erfurt.

    Au cours de cette progression, des blockhaus de mitrailleuses sont enlevés malgré la résistance très énergique des mitrailleurs allemands qui se font tuer ou prendre sur leurs pièces. Les équipes de grenadiers du 1er bataillon du 59e, qui précèdent la première vague, se distinguent tout particulièrement. Le sergent grenadier de Laborie attaque avec la 2e escouade un groupe ennemi, commandé par un officier, qui menace d’enrayer notre progression. Le combat est violent, mais le groupe ennemi est écrasé : les survivants, 1 officier et 6 hommes, sont faits prisonniers. Au moment où les escouades de grenadiers du bataillon arrivent à la tranchée Sud du mont Blond qui marque le premier bond, un groupe d’Allemands est aperçu mettant des mitrailleuses en batterie au sommet du mont Blond. Le sergent de Laborie, sans attendre l’heure de départ prescrite, traverse le barrage d’accompagnement avec tous ses grenadiers, auxquels se joignent quelques fusiliers. Les Allemands se défendent à la grenade, mais bientôt ils s’enfuient, abandonnant des morts et des blessés et trois mitrailleuses en excellent état. Laborie et ses hommes, retraversant le barrage, rejoignent leur unité, ramenant les mitrailleuses, et repartent quelques minutes après à l’attaque avec le bataillon. Ils ont été les premiers conquérants du mont Blond.

    A 6 h. 45, les 59e et 83e exécutent le deuxième bond qui conduit le 59e au sommet du mont Blond, tandis que le 83e occupe le Cornillet. Au centre, la progression est rendue très pénible par les tirs de mitrailleuses établies dans la région du Col, entre le Cornillet et le mont Blond ; la gauche du 59e est arrêtée devant le rentrant de la tranchée de Flensburg, et il se produit un vide entre elle et la droite du 83e qui, attirée par le Cornillet, a obliqué vers l’Ouest. Au cours de cette phase, le commandant de Saint-Martin, commandant le 2e bataillon du 59e, est mortellement frappé, et le capitaine adjudant-major Roux, qui a pris le commandement du 2e bataillon du 83e, tombe grièvement blessé au Cornillet. L’infatigable sergent de Laborie, apercevant un groupe ennemi dans le bois du mont Blond, à 100 mètres en avant de nos lignes, rassemble quelques volontaires, le caporal Roger, de la 2e compagnie, le caporal Chazelle, les soldats Lapergue, Maurion et Camon, des grenadiers d’élite, se porte à l’attaque de ce groupe, le poursuit dans un abri et, après une courte lutte au revolver et à la grenade, ramène 5 survivants dont 1 sous-officier décoré de la croix de fer.

    allemandePentes ouest du mont Blond, enlevées par nos troupes, sous le feu de l’artillerie allemande

    En dépit de l’arrêt de l’extrême gauche de la division et des difficultés qu’éprouve le centre dans sa progression, la situation paraît très favorable. Il est tentant de dépasser les crêtes et de marcher en avant. Mais les renseignements qui parviennent alors sur la situation des divisions voisines ne vont pas permettre d’exploiter le succès. On a vu que la droite de la division Le Gallais a été arrêtée à la tranchée de Wahn ; la gauche de la division Naulin est arrêtée par les abris souterrains de Constancelager. Toute progression, dès lors, exposerait à l’isolement dans une zone boisée, en avant et loin des troupes voisines. Il faut donc stopper ; des dispositions sont prises pour couvrir les flancs de la division et chercher à aider les divisions voisines à avancer à leur tour. Les bataillons disponibles des deux autres régiments de la division ferment l’intervalle qui s’est produit entre le Cornillet et la tranchée d’Erfurt, bouchent le trou existant au centre, entre le Cornillet et le mont Blond, à la tranchée de Flensburg, cherchent à déborder à droite le réduit de Constancelager. Le commandement, d’ailleurs, donne l’ordre de ne pas chercher pour la journée d’autre but que d’assurer l’occupation solide du Cornillet et du mont Blond. De plus, l’ennemi vaincu s’est ressaisi et oppose, particulièrement à l’Ouest, une résistance tenace, grâce à l’action de mitrailleuses établies sous blockhaus bétonnés qui, dissimulés dans les bois et habilement camouflés, ont pu échapper à l’action de notre artillerie. Au Cornillet, la situation est particulièrement difficile, à cause des concentrations de feux d’artillerie et des tirs de mitrailleuses partant du Col ; les pertes sont sérieuses ; le commandant Albouy, seul chef de bataillon restant du régiment, est tué. Cependant, nos hommes parviennent à relier le mont Blond et le Cornillet à la tranchée dErfurt.

    Le mont Cornillet vu des tranchées de départ du 83e d’Infanterie, dont il était l’objectif, le 16 avril

    Toute la journée, les contre-attaques, appuyées par des bombardements intenses, vont se succéder sur le Cornillet et le mont Blond. Au Cornillet, la plus violente est menée à 14 h. 30. L’ennemi, qui est parvenu à aborder nos lignes, est refoulé par les grenadiers d’élite du 2e bataillon aux ordres du sergent Esquerre. Le soldat Dauby (7e compagnie) tue 7 Allemands. L’adjudant Teychêne (7e compagnie) avec trois hommes saute sur un groupe d’ennemis qui fusille la compagnie de droite, tue l’officier et disperse les hommes. Au cours de ces actions, le capitaine Ollive, adjudant-major du 3e bataillon, qui a pris le commandement du bataillon après la mort du commandant Albouy, est mortellement frappé. Le capitaine Cassan-Ravel est tué d’une balle au front alors que, debout malgré les tirs de mitrailleuses, il encourage ses hommes. Les sous-lieutenants Laguasquie, Lespinasse, Gouygou, tombent en défendant héroïquement le Cornillet. A 17 heures, le 2e bataillon du 83e tient toujours dans la partie Nord, soutenu par des éléments du 3e bataillon ; mais la situation est critique, les pertes sont élevées, les munitions commencent à manquer en première ligne. A 17 h. 30, nos troupes se reportent sur la tranchée Sud du Cornillet. Le sous-lieutenant Floch, quoique blessé depuis le matin, se rue avec les grenadiers et voltigeurs de la 7e compagnie sur l’ennemi, et permet ainsi au 2e bataillon de se replier presque sans pertes.

    Sur le mont Blond, les contre-attaques qui débouchent du Mont-Haut et du Col sont toutes arrêtées par nos tirs de mitrailleuses, de fusils-mitrailleurs et de grenades, qui font subir de fortes pertes à l’ennemi. A 17 heures, le lieutenant-colonel Meyer, commandant le 59e, qui a pris le commandement du régiment la veille de l’attaque et l’a magnifiquement conduit à l’assaut du mont Blond, est blessé par un éclat d’obus et doit passer le commandement au commandant Louveau. A la tombée de la nuit, des mouvements allemands sont signalés au Nord du Cornillet et au Nord du mont Blond, faisant présager de nouvelles contre-attaques. Les tirs de barrage sont immédiatement déclanchés. Sur son seul front à l’Ouest du mont Blond, l’ennemi parvient au contact de nos lignes, mais il est repoussé, laissant quelques prisonniers entre nos mains. Des contre-attaques tentées au cours de la nuit, à minuit sur la tranchée Sud du Cornillet, à 1 heure du matin sur le mont Blond, sont également arrêtées.

    En fin de journée, la division de Lobit tient le mont Blond en entier, la partie Est de la tranchée de Flensburg, la tranchée Sud du Cornillet au croisement Erfurt-Hoenig, la tranchée d’Offenburg, avec un élément dans la tranchée Dusseldorf, à 400 mètres de la tranchée d’Offenburg. La nuit est employée à se consolider sur le terrain conquis et à remettre de l’ordre dans les unités. Le nombre des prisonniers recensés est de 432 hommes de troupes, 52 sous-officiers et 7 officiers. Le matériel capturé compte 18 mitrailleuses, 8 minenwerfer et 2 canons de 77. Par l’acharnement de la résistance, par le nombre répété des contre-attaques, on peut mesurer l’importance que l’ennemi attachait à la possession du mont Blond et du Cornillet, à leurs merveilleux observatoires, à leur puissance défensive. Il ne pourra se résoudre à les avoir perdus, et pendant plus d’un mois, la lutte va se prolonger sur tout le massif de Moronvilliers.

    Le lendemain 18 est marqué, à la gauche de la division, par la prise des abris de Constancelager par la division Naulin, qui reprend sa progression sur le Mont-Haut (v. plus loin). Mais le 19, l’ennemi veut absolument nous reprendre le Cornillet et le mont Blond : de 9 heures du matin à 4 heures du soir, il ne cessera pas de contre-attaquer. Débouchant de la zone boisée entre le village de Moronvilliers et celui de Nauroy, ces attaques s’effectuent en vagues denses sous la protection d’un violent bombardement, avec de très fortes réserves s’échelonnant entre la route Nauroy-Moronvilliers et la ligne mont Blond - mont Cornillet. La multiplicité et l’obstination de ces attaques nous obligent à l’emploi de nos réserves. A partir de 16 heures, les actions d’infanterie cessent, mais l’artillerie ennemie continue à se montrer très active. Les efforts tentés par l’ennemi pour reprendre le terrain perdu sont demeurés infructueux et ont échoué devant la volonté résolue du 59e (commandant Louveau) et du 88e (lieutenant-colonel Bonviolle). Il faut mentionner la conduite héroïque des lieutenants Clément et Bareilles, tous deux commandants de compagnie au 59e, tombés à quelques minutes d’intervalle en défendant, le revolver à la main, l’accès de leur tranchée. Le lieutenant Sacley, lui aussi commandant de compagnie, est blessé très grièvement ; emporté sur un brancard, il dit à ses hommes : « Je suis perdu, mais je suis heureux d’avoir pris part avec vous à la victoire. » Le lieutenant de Pointis, blessé le 17, est à nouveau très grièvement blessé, mais refuse de se laisser évacuer et conserve son commandement : il devait mourir de ses blessures. Les grenadiers du lieutenant Le Borgne (59e), véritable troupe d’élite, combattent à l’arme blanche lorsqu’ils ont épuisé leurs grenades. Le sous-lieutenant Laran, instructeur fusilier de la division, armé d’un fusil-mitrailleur et suivi de quelques fusiliers et grenadiers, se porte au-devant d’une contre-attaque allemande, forte d’un bataillon, qui, décimée par nos feux d’infanterie, commence à flotter. Ce mouvement décide de la retraite de l’ennemi qui se replie en désordre, abandonnant de nombreux cadavres sur le terrain. La compagnie de mitrailleuses du lieutenant Ganeval a réussi à briser plusieurs contre-attaques.

    prisonniers descendant les pentes du mont Perthois Entre le Mont Haut et le casque : l’attaque du 30 avril

    Le 20, nous essayons d’enlever le petit massif boisé au Sud-Ouest du Cornillet pour fortifier notre position sur la gauche, mais il faut reprendre la préparation d’artillerie. Dans la nuit du 20 au 21, des détachements du bataillon Lecocq pénètrent dans les deux tranchées Ouest du réduit du Cornillet. Ils parviennent jusqu’à un observatoire, refoulant l’ennemi devant eux. Mais ils sont arrêtés par des contre-attaques. Le 21 et le 22 sont pareillement le théâtre de luttes opiniâtres autour de ce réduit du Cornillet et des observatoires. Le 25, la division de Lobit est relevée : elle a pu maintenir ses conquêtes au mont Blond et jusqu’à la tranchée Sud du mont Cornillet.

    les pentes sud ouest du mont Cornillet et le granbd boyau du col vue oblique prise en avion à 600 m ètres, le 2 mai (section photographique d el’Armée

    C) LE MONT-HAUT

    Le Mont-Haut est l’objectif de la division Naulin qui doit opérer entre le chemin de terre reliant Prosnes à la route Nauroy-Pont-Faverger à gauche et, à droite, les bois de la Mitrailleuse et du Marteau. Elle est formée de zouaves, de tirailleurs et de bataillons d’Afrique. Un de ses régiments, le 3e bis régiment de zouaves, sera cité à l’ordre du corps d’armée en ces termes :

    Les 17 et 18 avril 1917, sous les ordres de son chef, le lieutenant-colonel Trapet, qui a su faire passer dans l’âme de son régiment son infatigable et indomptable énergie, s’est emparé dans un élan irrésistible, malgré des difficultés de terrain presque insurmontables, de hauteurs fortifiées que l’ennemi avait organisées depuis plus de deux ans en véritable forteresse.

    Soumis, les 19 et 20 avril, à un bombardement intense, a organisé et maintenu tout le terrain conquis, repoussant de violentes contre-attaques et faisant preuve de la plus grande ténacité, d’un courage superbe et du plus pur esprit de sacrifice. A fait de nombreux prisonniers et s’est emparé d’un important matériel de guerre.

    Son chef, le lieutenant-colonel Trapet, a été lui-même cité à l’ordre de l’armée :

    Brave entre les braves. A su faire passer dans le coeur de ses cadres et de ses zouaves l’ardeur et le courage qui l’animent. Pendant la période du 17 au 21 avril 1917, a dirigé lui-même avec la plus grande habileté et un sens tactique remarquable les attaques faites par son régiment. S’est emparé, malgré une très vive résistance et des difficultés de terrain presque insurmontables, de l’objectif qui lui était assigné et a conservé tout le terrain conquis malgré de très violents bombardements et plusieurs contre-attaques. Déjà cinq fois cité à l’ordre.

    Enfin, c’est le chef de bataillon Lesieur qui aura eu la gloire, avec les 3e et 1er bataillons d’Afrique (ce dernier recevra pour cet exploit la fourragère), d’enlever le premier le Mont-Haut :

    Du 17 au 21 avril 1917, dit sa citation à l’ordre de l’armée, a fait preuve des plus brillantes qualités militaires et donné l’exemple du courage, du sang-froid et du mépris du danger. Le 18 avril, entraînant ses compagnies privées d’officiers, a enlevé l’objectif indiqué, s’y est maintenu, repoussant toutes les contre-attaques ennemies et donnant au commandement les renseignements les plus précis.

    Il faut atteindre d’abord la lisière Sud du mont Perthois et l’extrémité Nord Est des bois parallèles, puis le Mont-Haut et la tranchée Nord-Ouest du Casque. Des difficultés sans nombre ralentissent la progression. En principe, les bataillons d’assaut doivent mener seuls l’attaque jusqu’à la conquête de l’objectif, les bataillons de réserve de régiment et de brigade suivant immédiatement afin d’échapper au barrage et prêts à boucher les trous, s’il s’en produit.

    A 4 h. 45, les vagues d’assaut sortent des tranchées et se portent à l’attaque des objectifs fixés sous la protection du tir d’artillerie qui s’exécute conformément aux dispositions du plan d’accompagnement. Pendant vingt minutes, l’artillerie ennemie ne s’oppose pas à la progression. L’heure de l’assaut a surpris l’ennemi. A 5 h. 5 seulement, il déclenche un tir de barrage d’ailleurs peu nourri. A la droite de la division, en raison de l’obscurité et du mauvais temps (pluie et neige), un certain flottement se produit au cours de la marche en avant, notamment parmi les mitrailleurs. Néanmoins, la traversée des premières lignes allemandes se fait sans difficulté. La résistance réelle ne commence qu’à la tranchée d’Erfurt, où des mitrailleuses et des fusils-mitrailleurs accueillent nos hommes. Une lutte courte et violente nous rend maîtres de la tranchée où nous faisons des prisonniers. A 5 h. 45, la tranchée d’Erfurt est franchie. On aborde la tranchée d’Oldenburg, on la dépasse. Mais de nombreux nids de mitrailleuses arrêtent alors la marche en avant : il faut les réduire un à un par des attaques à la grenade. Cependant, on continue d’avancer, en liaison à gauche avec les zouaves de la division, à droite avec la division Eon. Les zouaves étant arrêtés par les abris de Constancelager, il faut suspendre la progression et organiser le terrain conquis, étayer les flancs et renforcer les liaisons. Nous sommes parvenus à la lisière du bois du mont Perthois. L’après-midi, les Allemands lancent quatre contre-attaques pour nous rejeter. Les tirailleurs bondissent, baïonnette basse, le clairon sonnant la charge. Ce bond les amène jusqu’au mont Perthois. Mais il faut s’accrocher au terrain pour la nuit, et la situation demeure sérieuse.

    A la gauche de la division, la progression a été moins rapide, et la résistance ennemie a commencé, dès le début de l’action, au Bois-en-Escalier qu’il faut encercler et où l’on fait 80 prisonniers. Puis les zouaves dépassent la tranchée d’Erfurt pour se heurter aux abris souterrains dont les mitrailleuses les arrêtent. Plus à gauche, les tirailleurs ont été arrêtés devant la tranchée d’Erfurt par des mitrailleuses installées sous des abris profonds et bétonnés, dans un talus en équerre qui forme l’ensemble du centre de résistance de Constancelager. Ce centre de résistance demandera à être réduit comme une forteresse. Des batteries de 75, qui ont audacieusement suivi la progression, se mettent en position vers le Bois-en-Escalier et ouvrent le feu. Puis les zouaves tentent de tourner les abris par l’Est, mais ils ne peuvent déboucher ; les tirailleurs tentent l’encerclement par l’Ouest ; même impossibilité. Les abris bétonnés ont résisté, les mitrailleuses sont intactes. Le combat à la grenade dans les boyaux est rendu impossible par suite de l’état de leur bouleversement. La résistance est telle qu’il est nécessaire d’appliquer sur l’ensemble de Constancelager une concentration d’artillerie lourde de tous calibres, ce qui est d’une exécution difficile, en raison de la trop grande proximité de nos éléments avancés. Pour que cette préparation soit exécutée, le commandement ordonne de suspendre l’opération et de s’organiser sur place.

    La réduction de Constancelager est obtenue dès le matin du lendemain, 18 avril. Une violente concentration de feux est faite sur les positions à partir de 7 heures du matin. A 7 h. 30, les Allemands des abris souterrains hissent un drapeau blanc. C’est le sous-lieutenant Gaspary, du régiment mixte, seul d’abord, puis suivi du sous-lieutenant Lagache, qui va recevoir la reddition des défenseurs de Constancelager. Une heure plus tard, le lieutenant-colonel Trapet, commandant le 3e bis de zouaves, installe son P. C. dans un de ces abris souterrains. Mais l’ennemi inonde à son tour son ancienne position d’obus de gros calibres. Le poste de commandement est complètement enseveli. On en retire le colonel, le capitaine Gosard et un sous-lieutenant d’artillerie ; mais le sous-lieutenant téléphoniste Loison, occupé à la vérification de la ligne téléphonique, l’oreille à l’écouteur, est écrasé à son poste de combat. Le colonel change de P. C.

    Au delà de Constancelager, zouaves et tirailleurs ont tenté de reprendre la progression. Mais les pentes Sud du Mont-Haut sont garnies de mitrailleuses. La préparation d’artillerie est reprise sur les deux Mont-Haut. Ordre est donné de les attaquer à 6 heures du soir par régiments accolés. Toutes les mitrailleuses n’ont pas été réduites. Il faut descendre dans le cul-de-sac sous leur feu et monter à l’assaut de la cote 251 avec des effectifs diminués. Le sommet du plateau est entouré d’une double ligne de tranchées : elles sont enlevées. L’adjudant-chef Cardinali y fait une vingtaine de prisonniers. Avant 8 heures le plateau est enlevé et deux compagnies de zouaves, sous la protection de deux patrouilles de couverture, se retranchent en arrière à contre-pente du sommet de 251. Les Allemands contre-attaquent immédiatement. Mais le lieutenant-colonel Trapet, qui a déjà installé son poste de commandement à 50 mètres à contre-pente Sud du sommet, a déclaré : « La position est prise, elle sera gardée par les zouaves. » Du sommet que nous tenons, nous avons des vues très étendues et pouvons tirer sur le ravin du fond de Nauroy.

    Le 3e bataillon d’Afrique (commandant Neyrel) a marché à la tête des zouaves et atteint le Mont-Haut avec une compagnie et demie et une compagnie de mitrailleuses. Le 1er bataillon (commandant du Guiny), après une avance victorieuse, a été arrêté devant la tranchée de Fosse-Froide.

    Le 19 avril est marqué par de violentes réactions ennemies, tandis qu’à notre gauche nous prenons notre dispositif de stationnement couvrant la ligne des observatoires. Les contre-attaques ennemies, prises sous le feu de notre artillerie, éprouvent des pertes considérables : du sommet du Mont-Haut, les fantassins peuvent suivre le spectacle que leur offrent trois bataillons allemands débouchant au delà de la route de Nauroy au village de Moronvilliers, dans la Noue des Maréchaux, s’éparpillant sous la grêle d’obus et se désagrégeant de tous côtés. D’autres reparaîtront dans l’après-midi, baïonnette au canon, se dirigeant vers le fond de Nauroy et le ravin de la Fosse-Froide, et seront pareillement dispersés sous le feu. Il en sera de même le lendemain 20 avril.

    Cependant les tirailleurs ont attaqué les tranchées de Fosse-Froide, le 19. Le 1er bataillon les a conquises, le commandant Zuilling qui le commandait a été tué, et une contre-attaque allemande a rejeté le 1er bataillon, mais a été à son tour arrêtée par le 3e. « Et jusqu’à la relève, dit un compte rendu du régiment, qui est effectuée le 21 avril à 23 heures, les tirailleurs restent stoïques sous le bombardement. La relève les trouve sales, boueux, hirsutes. Ils ont souffert de la faim et de la soif. Ils ont les traits tirés de ceux qui n’ont pas dormi depuis plusieurs jours. Mais un sentiment les a soutenus : la volonté de vaincre. Bon nombre d’entre eux (dont 35 officiers) ont rougi de leur sang la terre de France qu’ils ont reconquise. Mais ceux-là ont été vengés et les tirailleurs ont connu l’ivresse de la charge telle qu’ils l’avaient rêvée, la griserie de la charge au son du clairon qu’ont accompagné les clameurs de la victoire. Ils ont capturé plus de 200 prisonniers, se sont emparés de 3 canons, 12 mitrailleuses et d’un matériel important. Du 17 an 21 avril, les tirailleurs du ...e régiment de marche ont ajouté à l’historique de leur corps une page glorieuse, digne de celles qu’ils avaient écrites à Bouchavesnes, sur l’Yser et à Verdun ».

    La division Naulin, qui a conquis le Mont-Haut, a fait au cours des attaques près de 500 prisonniers, dont 8 officiers, et a pris un matériel important, canons, minenwerfer, mitrailleuses, matériel de T. S. F.

    d) LE CASQUE ET LE TÉTON

    La division Eon a pour objectif le Casque et le Téton. Elle connaît le secteur où elle travaille depuis un mois. Elle aura préparé l’attaque, elle l’aura exécutée et réussie, elle aura maintenu et assuré sa conquête à elle seule, car elle tiendra treize jours et ne sera relevée que le 1er mai.

    Son front de combat s’étend du bois Horizontal au bois des Ecoutes. Elle doit avancer entre le mont Perthois et les pentes Ouest du Mont-sans-Nom pour atteindre la ligne des crêtes Casque - Téton - Parallèles de Moronvilliers. Le jour de l’attaque, 17 avril, la division progresse dans l’ensemble sur une profondeur de 1 à 2 kilomètres, enlevant 3 et 4 lignes de tranchées successives et faisant plus de 700 prisonniers. Mais cette progression a été ralentie sur certains points, et spécialement sur la droite, par la résistance acharnée de centres de résistance établis au bois du Chien, au bois en V, aux abris d’Hexen Kessen, qu’il faut nettoyer. Peu à peu ces défenses sont réduites, mais la journée s’est passée à les réduire, et, à la tombée de la nuit, les troupes s’organisent sur la position occupée et se reforment. Au bois en V, le combat se prolonge toute la nuit et une partie de la matinée du 18. Dans l’après-midi du 18, les troupes prennent leurs dispositions pour l’attaque du Téton et du Casque. Le 19, à la pointe du jour, le 11e régiment, après une attaque très brillante admirablement soutenue par l’artillerie divisionnaire, enlève le Téton d’un seul bond et continue sa progression vers le Fer à Cheval et la tranchée Nord du Téton. Mais, le 20e régiment n’a pu déboucher par suite des tirs violents des mitrailleuses placées sur les pentes Ouest, au-dessus du bois du Mont Perthois. Il oblique sur sa droite pour gagner les pentes les mieux abritées, il atteint la tranchée de Rendsburg et de Göttingen, il y progresse ; de nouveau les mitrailleuses de la crête l’arrêtent. Les contre-attaques ennemies se multiplient tout le jour pour nous chasser des pentes du Casque et du sommet du Téton. Elles se heurtent à nos tirs de barrage et sont repoussées. Mais la journée a été très dure pour nos troupes et particulièrement pour le 11e, qui a dû mettre en ligne tous ses éléments.

    Cette prise du Téton par le Il’ régiment, qui y gagne la fourragère, mérite une place à part dans le récit des opérations de Moronvilliers. Sans doute l’enlèvement lent et progressif du Casque par le 20e a-t-il exigé autant d’effort et peut-être plus d’endurance encore. Mais la guerre comme l’amour offre inégalement ses faveurs. Le 11e régiment est composé de Gascons, de Limousins et de Parisiens, s’il faut en croire l’ordre du jour où son chef, le lieutenant-colonel de Douglas, ancien commandant de chasseurs alpins, l’exalte avant le combat : « Enfants du Midi, du Centre et de Paris, dit-il à ses hommes, allons délivrer nos frères de l’Est et du Nord du joug odieux de l’envahisseur. » Puis il rappelle son passé glorieux : « Le régiment fameux pour sa défense de Thiaumont, le régiment cité pour la victoire d’Haudromont, ne se laissera pas distancer par les tirailleurs qui attaquent à nos côtés. Gaiement et gaillardement, il bondira de ses tranchées dans les lignes ennemies bouleversées par nos obus. Sur le sommet du Téton il ira sonner son refrain grivois et décrocher sa fourragère. Soldats du 11e dont je suis si fier d’être le colonel, je suis sûr que votre bravoure fera du combat de demain une victoire décisive... »

    Le refrain du régiment c’est le Téton de ma cousine. On devine de quelle popularité est l’objectif à atteindre. Cet objectif, on le voit des tranchées de départ. On a eu le temps de l’examiner, de le mesurer. Peu à peu, comme Douaumont les Marsouins qui l’ont pris, le Téton hypnotise les biffins du 11e. Il profile sur l’horizon ses contours arrondis. Il faut le prendre : on le prendra.

    Sous la direction du lieutenant Billoudet, les pionniers ont aménagé le terrain, parallèles, gradins de franchissement, passerelles. Tout est prêt pour le départ. En tête marchera le bataillon Négrié : c’est lui déjà qui a mené la marche sur la carrière d’Haudromont le 24 octobre 1916. Le commandant Négrié est un petit homme calme, méditatif et résolu, dont le sang-froid augmente avec le péril. Il a déjà trois ou quatre palmes sur sa croix de guerre : il sera promu officier de la Légion d’honneur après sa victoire. Ensuite vient le bataillon Turc, puis, en réserve, le bataillon Delbreil.

    4 h. 45 : c’est l’heure. « Le régiment, dit un témoin, est parti d’une allure superbe et s’est enfoncé dans les trous noirs de la nuit, sans qu’il y ait un crépitement, ni une fusée boche : un quart d’heure après, les prisonniers affluent déjà. » Mais la droite est bientôt arrêtée par les mitrailleuses. Toute la journée du 17 se passe à réduire des centres de résistance, des abris aménagés dans le bois et non détruits par l’artillerie. Le mont Perthois, comme le Cornillet, est percé d’un tunnel à plusieurs sorties, pouvant abriter plus d’un bataillon ; la garnison sort par ces ouvertures des mitrailleuses qu’elle met en batterie et ces mitrailleuses prennent d’enfilade les assaillants avant même qu’ils atteignent les pentes du Casque et du Téton. Il faudra masquer ces entrées. Les artilleurs y parviendront le 18 avec une batterie de 58 qui accompagnait l’attaque. Le sous-lieutenant Royer, jeune polytechnicien du plus grand avenir, y sera tué d’une balle de mitrailleuse au cours de cette préparation.

    Cependant, le 18, l’artillerie lourde recommence à battre la ligne des crêtes et les tranchées des pentes. L’assaut a été remis au 19 à la première heure. A 5 heures du matin, après une courte préparation immédiate, étonnante de précision, « le régiment part dans un ordre superbe, grimpe la côte, aligné comme à la parade et, sans presque subir de pertes, arrive en haut, se profile sur la crête dans le soleil levant et disparaît de l’autre côté : c’était splendide ». Le bataillon Turc a rejoint le bataillon Négrié, son chef chargeant en personne, un mousqueton en main. D’ailleurs, les trois chefs de bataillon, les deux capitaines adjudants-majors du Passage et de Cousans, tous deux blessés, prirent un fusil et chargèrent en tête de leurs hommes. Le capitaine de Cousans, à la contre-attaque, servira lui-même une mitrailleuse dont tous les servants ont été tués ou blessés. Du sommet du Téton, les vainqueurs découvrent avec ravissement le terrain ennemi jusqu’à Pont-Faverger. Ils voient nos obus lourds tomber sur le village de Moronvilliers. De leurs mitrailleuses, ils dispersent les contre-attaques dont ils aperçoivent la formation.

    Mais conquérir n’est pas tout : il faut tenir, et la tâche est encore plus rude. Ni le Mont-Haut ni le Casque ne sont pris. Les vainqueurs sont en flèche et sur eux se concentre le bombardement ennemi, pendant que par les ravins et sur les pentes se glissent les lignes d’assaut des contre-attaques. Notre artillerie prévenue les brise, mais elles se reforment avec ténacité. Vers 4 heures de l’après-midi, deux bataillons abordent la crête que nous occupons. Deux fois ils la reprennent, deux fois ils la reperdent. Le bataillon de réserve a spontanément grimpé la côte à la rescousse : son chef, le commandant Delbreil, est grièvement blessé. Il n’y a plus qu’un officier non blessé par bataillon, les unités sont mélangées, néanmoins les hommes tiennent. Le 10e régiment d’artillerie, par ses barrages précis et nourris, appuie heureusement la résistance du régiment qui s’épuise. Trois jours et trois nuits, il ne cessera guère de tirer. Deux de ses officiers de liaison ont été tués, le lieutenant Van Brock pendant l’assaut du 17, le lieutenant Fraget à la contre-attaque du 19.

    La nuit du 19 au 20 est dure et longue à passer. Le commandant Négrié voit sans cesse glisser des ombres. L’ennemi s’infiltre par les flancs sous bois. Les communications qui ont fonctionné sans relâche permettent de diriger le feu d’artillerie qui fait des barrages autour de la position. Nuit tragique. Ceux qui l’ont vécue avaient l’impression qu’ils risquaient d’être cernés et enlevés à toute heure, et néanmoins chacun sur place était résolu à garder le terrain occupé.

    Le 20, des avions ennemis viennent les survoler. Ils subissent un cruel tir de préparation après leur réglage et une nouvelle contre-attaque ennemie au cours de laquelle le commandant Négrié est blessé au cou. Le 21, le régiment est relevé, et le général commandant l’armée adresse au 11e régiment « l’expression de son admiration pour sa belle conduite sur la position du Téton ».

    Les citations qui furent données à cette occasion sont trop nombreuses pour être toutes relevées. S’il fallait en choisir deux, peut-être faudrait-il détacher de leur groupe ce mitrailleur qui a couché à 20 mètres de lui toute une section de mitrailleuses boches, et cet adjudant téléphoniste que le colonel avait envoyé avec la première vague pour préparer son poste de commandement et qui, y trouvant 19 Boches, les a fait sortir à lui tout seul, leur déclarant qu’il fallait f... le camp puisque le colonel arrivait.

    Le 20, l’attaque du Casque est reprise. Les grenadiers d’élite du cours d’instruction d’armée n’ont eux-mêmes pas pu progresser à cause du tir des mitrailleuses. Dans l’après-midi, le 20e régiment occupe entièrement les tranchées de Rendsburg et de Göttingen jusqu’à leur extrémité Ouest et ces éléments avancés pénètrent dans le bois du Casque. A 6 heures du soir, enfin, la cote 242 (sommet du Casque) est occupée et nos troupes progressent dans le boyau du bois du Casque. Mais la division Naulin n’est pas encore maîtresse du Mont-Haut et n’a pu participer à l’attaque du Casque par l’Ouest et le Sud-Ouest, de sorte que les éléments avancés du 20e ne peuvent se maintenir au sommet ; mais les tranchées de Rendsburg et de Göttingen restent entièrement en notre possession et leur défense est fortement organisée dans la soirée.

    Après de si rudes combats, le général Eon pourra dire à sa division qui ne sera relevée que le 1er mai : « Vous avez combattu dans la boue et sous la pluie glaciale, vous êtes restés quatre nuits sans sommeil, vous avez enlevé six lignes de tranchées ennemies sur une profondeur de plus de trois kilomètres au prix d’efforts magnifiques et vous êtes toujours sur la brèche, prêts à supporter tous les sacrifices qu’exigent les opérations en cours et votre devoir envers la Patrie... »

    e) LE MONT-SANS-NOM, LE GOLFE ET AUBÉRIVE

    Le Mont-sans-Nom - on se souvient de sa description - est une avancée à l’Est des massifs de Moronvilliers vers la plaine de Châlons. Ses pentes Est s’allongent dans la direction de la Suippe qui, du village d’Aubérive, remonte vers le Nord, laissant à l’Ouest le village de Vaudésincourt et à l’Est celui de Dontrien. Entre les pentes du Mont-sans-Nom et Aubérive sont les tranchées et retranchements du Golfe. Il s’agissait d’emporter, outre le Mont-sans-Nom, l’ensemble de cette position, soutenue par les fortins d’Aubérive et de Vaudésincourt, an delà même d’Aubérive et de la Suippe jusqu’à la tranchée des Abattis. Ce fut l’oeuvre de la division marocaine commandée par le général Degoutte, aidée à l’Est, sur la rive droite de la Suippe, par quelques bataillons de la division Mordacq et, sur Aubérive même, par le 75e régiment territorial.

    La division marocaine a été, au cours de la guerre, de la plupart des principales offensives. Elle occupe et défend Mondement pendant la bataille de la Marne ; aux attaques d’Artois (9 mai 1915), elle s’empare de la cote 140, entre Neuville-Saint-Vaast et Souchez ; en Champagne, le 25 septembre 1915, elle prend le bois Sabot ; en juillet 1916, sur la Somme, elle enlève Belloy. Elle devait avoir sa part à la victoire du Moronvilliers.

    Le départ dans la nuit, à 4 h. 45, le 17 avril, fut sur ce point une surprise complète pour l’ennemi qui ne déclenche ses tirs de barrage que dix ou même quinze minutes plus tard. Ce barrage se porte principalement sur le Mont-sans-Nom, mais les zouaves qui sont chargés de le prendre ont déjà passé. D’un bond ils s’y précipitent. Avant 5 heures ils ont atteint le sommet, où ils se fortifient. La citation dont le régiment a été l’objet résume ses opérations : « Sous les ordres du lieutenant-colonel Lagarde, a enlevé, le 17 avril 1917, avec un allant merveilleux, une série de hauteurs puissamment fortifiées. A ainsi atteint d’un seul élan l’objectif qui lui avait été fixé, faisant plus de 500 prisonniers et s’emparant de 6 canons et d’un matériel considérable (mitrailleuses, minenwerfer de divers calibres). Le 19 avril, a arrêté net une puissante contre-attaque ennemie, faisant 75 prisonniers, s’emparant de 6 mitrailleuses et d’un canon de 150. Le 30 avril, malgré un bombardement d’une extrême violence, a brisé une nouvelle attaque ennemie menée par deux régiments, a progressé à la suite de cette attaque, faisant des prisonniers et s’emparant de 3 canons de 105. Pendant cinq jours, les zouaves et, en particulier, le 2e bataillon, sous l’énergique impulsion du commandant Durand, n’ont cessé de faire preuve d’une initiative individuelle et d’un moral qui ont fait l’admiration de tous. » La contre-attaque du 20 fut menée avec la dernière énergie par Ies 100e et 101e régiments saxons de la 23e D.I. Elle fut brisée en partie par les tirs de barrage et nos feux de mitrailleuses. Les zouaves reçurent, debout sur la tranchée, les assaillants que n’avait pu arrêter le tir de barrage.

    Les tirailleurs, au centre de la division, se montrèrent les dignes émules des zouaves. Deux de leurs bataillons seront pareillement cités. Tous deux auront perdu leur chef, l’un le commandant Dauzier blessé et remplacé par le capitaine Patriarche, l’autre le commandant Autzouy, tué dès le début de l’action et remplacé par le capitaine adjudant-major Chanavas. Cependant, ces bataillons, dans l’assaut du 17, ont rencontré des résistances opiniâtres, en particulier sur la droite, au fortin de la tranchée du Levant et dans le bois Allongé ; ils ont pu les réduire et s’avancer jusqu’à la tranchée du Landsturm. La nuit du 17 au 18 est marquée par un bombardement continu des positions conquises soit au Mont-sans-Nom, soit sur la tranchée du Landsturm. Au lever du jour, le 18, une violente contre-attaque pénètre dans la tranchée de Constantinople qui rejoint la tranchée du Landsturm, mais ne parvient pas à en déboucher. Les tirailleurs chassent les éléments ennemis qui se sont ainsi avancés ou les font prisonniers. Le 19 et le 20, nouvelles contre-attaques. Le 20, les tirailleurs pénètrent dans le bois Noir. Le 21, ils achèvent de nettoyer la tranchée Bethmann-Hollweg et, après un vif combat à la grenade, s’emparent de 6 canons. Sur les combats livrés par le régiment de marche de la légion étrangère, qui avait pour objectif l’enlèvement des positions du Golfe et l’encerclement par la gauche du village d’Aubérive que les troupes de la division Mordacq devaient dépasser par l’Est, le Bulletin des Armées a publié le récit suivant :

    « Le 17 avril, à 4 h. 45, le 1er bataillon qui, d’après le plan d’attaque, devait pénétrer dans la tranchée allemande entre le bois en T et la Sapinière, puis faire face à l’Est pour progresser dans le Golfe, part à l’assaut, suivi du 2e bataillon. L’élan est magnifique : malgré le vent qui souffle en tempête et la pluie qui cingle les visages, malgré les blocs de boue dont ils sont bottés, les légionnaires franchissent le parapet et, par les brèches pratiquées dans nos fils de fer, atteignant le réseau ennemi ; la cisaille achève le travail de démolition effectué par notre artillerie. La légion passe et s’engouffre dans la tranchée des Bouleaux, marée jaune à laquelle l’ennemi, qui reconnaît le drap khaki des Africains, ne pourra résister. Les grenades, lancées à bout portant, déblayent le terrain ; les corps ploient sous l’étreinte ; dans cette fin de nuit que prolonge la tourmente, on ne voit guère ; nos braves se reconnaissent à la voix et poursuivent, malgré les mitrailleuses, dans les boyaux et les abris, leur oeuvre impitoyable.

     » Les Allemands, ne pouvant tenir dans leur première ligne, se retirent dans la deuxième ; les légionnaires ne leur laissent aucun répit ; les tranchées du Golfe sont enlevées. A mesure qu’on s’approche d’Aubérive, la résistance devient plus acharnée ; on sent tout le prix qu’attache l’ennemi à la conservation de cette position capitale. Dans les tranchées de Byzance, des Dardanelles, du Prince Eitel, les mitrailleuses, les lance-flammes, les grenades opposent à nos troupes des barrages de mort. La légion passe quand même, à force d’héroïsme.

     » Dans cet enfer, des hommes de cinquante et une nationalités différentes se battent contre l’Allemand. Le plus grand nombre ne luttent pas pour la sauvegarde d’un foyer ou la conservation d’un patrimoine national ; ce ne sont pas non plus des mercenaires qu’attirent de hautes payes on l’espoir de riches butins ; ils sont là, vétérans de la vieille légion d’Afrique ou volontaires pour la durée de la guerre, de toutes qualités sociales, des plus humbles comme des plus élevées, de toutes les cultures, des plus simples comme des plus raffinées, conduits par l’instinct qui les domine, la haine de l’Allemand et l’amour de la liberté.

     » La légion continue sa route... Le 19, au petit jour, le fortin d’Aubérive est entre nos mains ; notre artillerie a fait une merveilleuse besogne, rendant à l’ennemi, par un tir d’une admirable précision, la position intenable ; des armes, des munitions, des équipements, du linge, jonchent le sol ; dans un réduit attenant au fortin un récipient rempli de café chaud est vidé goulûment par nos hommes qui, depuis le 16, n’avaient eu pour toute boisson que l’eau dont on ne les ravitaillait qu’avec une extrême difficulté.

     » Tandis qu’une section, sous les ordres d’un sous-officier, occupe le fortin, le lieutenant commandant la 10e compagnie part avec deux grenadiers pour explorer le village d’Aubérive ; à 14 h. 30, il y pénètre par l’Ouest et le trouve vide d’Allemands. L’ennemi, craignant d’être cerné, avait évacué le formidable réduit qu’était devenu le village avec ses tranchées, ses coupoles, ses plates-formes, ses abris pour mitrailleuses, le tout en ciment armé. Il avait résolu de porter ses efforts sur la défense du fortin Sud de Vaudésincourt qui commandait le saillant dont la légion devait opérer l’encerclement. Notre progression ne peut se faire qu’à la grenade et au fusil-mitrailleur.

     » Successivement les ouvrages de Posnanie et de Beyrouth, le Labyrinthe sont enlevés malgré la résistance désespérée des grenadiers allemands qui ont recours à la ruse ; sans armes, et le bonnet à la place du casque, ils s’avancent, les bras levés vers nos légionnaires, comme pour se rendre, mais, arrivés sur eux, ils baissent les bras, et les grenades qu’ils tiennent cachées dans leurs mains, lancées à bout portant, font un instant reculer nos hommes. Le désarroi n’est que de courte durée ; la rage au coeur, les légionnaires sautent à la gorge de leurs adversaires, le corps à corps est impitoyable, il n’est pas fait un prisonnier. Dès lors, la défense du fortin ne pouvait longtemps tenir, le nettoyage du Grand-Boyau nous permet d’en hâter la chute.

     » Tous les objectifs étaient atteints, en quatre jours de combats incessants ; malgré la fatigue, le manque d’eau, les difficultés énormes du ravitaillement, le régiment de la légion avait, à la grenade, gagné plus de 7 kilomètres de boyaux. Ses trois bataillons avaient eu raison de deux régiments saxons.

     » Un tel effort, couronné par un tel succès, ne pouvait aller sans de douloureux sacrifices.

     » Au début de l’action, le lieutenant-colonel Duriez avait été mortellement frappé au moment où il lançait son régiment à l’attaque ; les légionnaires puisèrent dans le désir de venger leur chef une volonté de vaincre plus grande encore. Le chef de bataillon Deville prit le commandement et put, le troisième jour de la bataille, rendre compte : « Les hommes sont physiquement à bout, « leur moral est splendide, ils refusent toute relève... »

    Le lieutenant-colonel Duriez, blessé mortellement et emporté sur un brancard, rencontre son commandant de brigade. Il a la force de faire arrêter les porteurs, et il rend compte en détail sans hâte, malgré les souffrances et la mort menaçante, à son chef de la situation du régiment et des mesures qu’il a prises, après quoi il fait signe au cortège de reprendre la marche.

    Aubérive a valu au régiment de marche de la légion étrangère sa cinquième citation. Elle est ainsi libellée :

    Merveilleux régiment qu’animent la haine de l’ennemi et l’esprit de sacrifice le plus élevé.

    Le 17 avril 1917, sous les ordres du lieutenant-colonel Duriez, s’est lancé à l’attaque contre un ennemi averti et fortement retranché et lui a enlevé ses premières lignes. Arrêté par des mitrailleuses et malgré la disparition de son chef, mortellement touché, a continué l’opération sous les ordres du chef de bataillon Deville, par un combat incessant de jour et de nuit jusqu’à ce que le but assigné fût atteint. Combattant corps à corps pendant cinq jours et malgré de lourdes pertes et des difficultés considérables de ravitaillement, a enlevé à l’ennemi plus de 2 kilomètres carrés de terrain. A forcé, par la vigueur de cette pression continue, les Allemands à évacuer un village fortement organisé, où s’étaient brisées toutes nos attaques depuis plus de deux ans.

    Tous les régiments de la division marocaine ont eu la fourragère. Ceux qui ont appartenus à l’un ou à l’autre, zouaves, tirailleurs ou légion et qu’une évacuation pour maladie ou blessure en écarte, réclament comme une faveur et un honneur d’y revenir. Ils en ont la nostalgie et, du dépôt, ils supplient leur général ou leur colonel de les reprendre comme s’ils ne pouvaient imaginer de combattre ailleurs. Aussi les présents et les absents ont-ils dû apprendre avec orgueil la promotion au grade de commandeur de la Légion d’honneur de leur chef, le général Degoutte : « Officier général de haute valeur, ayant les plus beaux services de guerre. Vient de se distinguer particulièrement à la tête de sa division, au cours des récents combats, en enlevant sur un front de sept kilomètres, dans une région difficile, les organisations formidables accumulées par l’ennemi, capturant près de 1.100 prisonniers, 22 canons, 47 mitrailleuses, 58 minenwerfer et un matériel de tranchées considérable. »

    La division Mordacq a donné quatre bataillons et demi à l’offensive du 17 avril Elle avait pour objectif, sur un front d’environ 2.500 mètres, l’ensemble des organisations défensives constituant la première position allemande, depuis la Suippe jusqu’au saillant des Abattis inclus. Ces organisations comprenaient de quatre à six tranchées successives et l’écart Est du village d’Aubérive. Les tranchées de départ se trouvaient à 200 mètres environ de la première tranchée allemande. Les défenses accessoires devant les tranchées à enlever avaient été entièrement détruites par l’artillerie : aucune difficulté ne fut réellement rencontrée par l’infanterie de ce fait ; cependant, le réseau allemand était si épais et si large que, quoique détruit sur de grandes étendues, des hommes ont pu, dans l’obscurité, s’embrouiller dans des fils de fer traînant sur le sol. Sur la gauche et au centre, la surprise ennemie fut complète et la progression rapide. Mais le régiment de droite se trouva engagé de suite dans un combat contre un ennemi en éveil, subit de grosses pertes parmi ses cadres et n’atteignit qu’avec quelques éléments la tranchée de Baden-Baden et la tranchée des Germains. Mais le succès de l’opération à l’Est d’Aubérive réalisa le but d’encerclement poursuivi. Les Allemands, nous l’avons vu, durent évacuer le village dans la nuit du 18 au 19 et dans la matinée du 19. Des artilleurs de tranchée rattachés à la division Mordacq, des patrouilleurs du 75e régiment territorial et du 126e régiment y pénétrèrent les premiers.

    L’ennemi multiplia les jours suivants, 19 et 20 avril, et plus violemment encore le 22, les contre-attaques sur la tranchée de Baden-Baden et sur la tranchée des Germains, dont il réussit à garder une partie. Mais nous étions solidement installés et organisés à Aubérive et à l’Est du village, et ses réactions, bien que le 22 il réussît à pénétrer dans nos nouvelles positions, ne purent compromettre la situation établie.

    Il serait injuste de ne pas rendre hommage, à l’occasion des affaires d’Aubérive, à la 185e brigade territoriale (général Guérin), et spécialement au 75e régiment (lieutenant-colonel Le Gacher de Bonneville) qui, après avoir organisé offensivement le secteur, prit part à l’opération elle-même, d’abord en ravitaillant, sous le feu, en vivres et en munitions, la division marocaine, puis en contribuant à la prise du village et des retranchements du Golfe. Le 22 avril, il coopérait à la prise du fortin de Vaudésincourt qui ne tomba qu’après une résistance acharnée. Cette brigade, composée de Bretons et de Malouins, avait d’ailleurs donné déjà la preuve de son endurance et de sa valeur au combat.

    Ainsi, du 17 au 21 avril, l’offensive de Champagne, préparée par le général Pétain et exécutée par le général Anthoine, avait atteint ce but à peine vraisemblable pour qui se rend compte des lieux et de l’importance des positions allemandes et des travaux accomplis depuis deux ans et demi pour en assurer

    la possession : la conquête du massif du Moronvilliers, mont Cornillet et mont Blond, Mont-Haut et mont Perthois, Casque et Téton, Mont-sans-Nom, Golfe et Aubérive et la perte pour l’ennemi de tous ses observatoires directs sur la plaine de Châlons.

    Mais l’ennemi ne devait pas se résigner si aisément à la défaite, et nos gains mêmes allaient demeurer précaires, jusqu’à ce que nous ayons réussi à obtenir, à travers le flux et le reflux des contre-attaques, une situation établie et organisée.

    V. - OPÊRATIONS LOCALES (25 AVRIL-19 MAI)

    Notre offensive du 17-22 avril nous a donc valu la possession imparfaite du massif de Moronvilliers. A l’Ouest, le bois de la Grille n’est pas encore à nous. Du Cornillet nous occupons les pentes jusqu’à la tranchée Sud qui encercle le réduit : sur les pentes Nord sont les sorties du fameux tunnel dont la garnison rend les contre-attaques allemandes si soudaines et qui contribue puissamment à la défense de la position. Entre le Cornillet et le mont Blond, dont la crête ne nous appartient pas, reste une poche qui sera difficile à réduire. Le plateau du Mont-Haut est inhabitable. Le tunnel du mont Perthois n’est pas encore aveuglé. Le sommet du Casque et le bois qui occupe la crête Est ne sont pas à nous, le sommet du Téton est précaire et Aubérive demeure menacé. Il nous faudra un mois d’opérations locales pour parvenir à élargir et étayer notre conquête. Une série d’actions sera entreprise : le 30 avril entre les Marquises et le Téton ; le 2 et le 4 mai sur le bois de la Grille ; le 4 mai sur le mont Blond et le Cornillet ; enfin, le 20 mai, sur le Cornillet, dont nous prendrons le réduit, le tunnel et les pentes Nord.

    La Frankfurter Zeitung du 29 avril a qualifié de bataille de géants la bataille de l’Aisne et de la Champagne. En Champagne, l’artillerie allemande est nettement dominée par la nôtre. Si l’ennemi a pu éviter un désastre pendant la première partie de la bataille (17-22 avril) et maintenu la plus grande partie de son front intacte dans la deuxième partie (22 avril-19 mai : combats pour la possession des crêtes du massif), c’est grâce à son infanterie et à ses mitrailleuses. Il resserre le dispositif de ses régiments. Chaque régiment en secteur comprend deux échelons au lieu de trois : l’échelon du bataillon au repos disparaît. Deux bataillons entiers sont en ligne ; un bataillon est en réserve à une distance qui ne dépasse pas deux kilomètres. Donc une très grande densité en première ligne et présence de toutes les mitrailleuses du bataillon en première ligne sur la première position. L’ennemi veut défendre coûte que coûte, sur la première position où il a été ramené par sa défaite, la ligne des crêtes, en combinant la résistance sur place avec la contre-attaque immédiate. Il est hors de doute qu’il attache la plus grande importance à la conservation de cette nouvelle ligne et qu’il est résolu à lutter jusqu’au bout.

    Au cours de nos attaques des 30 avril et 4 mai, l’infanterie allemande s’est montrée tenace et manoeuvrière, s’adaptant aux circonstances et au degré de destruction de ses organisations défensives. Les 5e et 6e divisions ont tenu le secteur entre le mont Blond et le Téton du 20 avril au début de mai sous un bombardement continuel. Ses organisations défensives très précaires étaient presque uniquement faites par les trous d’obus et quelques éléments de tranchées construites hâtivement et n’offrant pas grande protection. Les boyaux pour communiquer avec l’arrière n’existaient plus : les relèves ont dû se faire à travers champs pendant la nuit. Les liaisons n’existaient que par coureurs, le téléphone étant inutilisable et les liaisons optiques possibles seulement entre le bataillon et l’arrière. Ces deux divisions ont subi des pertes très lourdes sans avoir livré de combat important ; un projet d’attaque le 29 avril sur le Mont-Haut par le 8e régiment a dû être abandonné à cause des pertes. C’est la ténacité de cette infanterie, ce sont les résistances locales, les travaux de défense rapidement exécutés sur des destructions incomplètes, les feux des mitrailleuses restées sur place ou sorties des abris qui ont rendu notre progression lente et difficile jusqu’à la brillante affaire du 20 mai qui complétera la victoire des premiers jours. La valeur de l’adversaire rend plus méritoire et plus éclatante celle des troupes qui en ont triomphé.

    Le 26 avril, le général Vandenbergh succède au général Hély d’Oissel dans le commandement du secteur Ouest. Les tirs de pilonnage et de destruction des tranchées ennemies reprennent à la fin du mois, préparant l’action qui se déclanchera le 30 avril, des Marquises au Téton. Le déclenchement se fait à midi 40.

    a) AU BOIS DE LA GRILLE ET AU CORNILLET

    La division Hennoque, à l’extrême gauche, doit s’emparer du bois de la Grille et atteindre la tranchée de Leopoldshöhe. C’est une division de Bretagne qui a pris part au mouvement en avant sur Lassigny, Guiscard et Ham. Elle a relevé toutes les traces de pillage et de crimes commis par l’ennemi avant son départ, maisons brûlées, champs dévastés, pommiers coupés, habitants déportés, Ce spectacle l’a exaltée. Elle brûle de venger tant de maux et d’injures. Elle a assisté, frémissante, à la préparation de notre artillerie, exultant à la vue des dégâts causé par nos obus lourds. Le 30, à midi 40, elle sort en ordre, comme à la manoeuvre, des parallèles de départ et s’élance dans le bois d’où elle doit déloger l’adversaire. L’ennemi est muet et ne semble pas s’opposer à cette progression qui gagne la première ligne et la dépasse. Mais tout à coup, presque à bout portant, de vingt endroits différents crépitent les feux nourris des mitrailleuses dissimulées dans des abris bétonnés qui ont résisté. Nos mitrailleuses et nos fusils mitrailleurs prennent position ; chaque homme puise dans sa musette, en sort des grenades et une lutte acharnée s’engage. Aucun mouvement de recul ne s’esquisse, malgré le nombre grandissant des officiers tués ou blessés (le colonel Robert, commandant l’un des régiments, est tué), malgré les pertes. L’ordre est de tenir et l’on tient. Ne pouvant avancer, nos hommes s’accrochent au terrain et organisent à la hâte les trous d’obus. L’ennemi essaie de contre-attaquer, il est promptement ramené ou fauché. Cependant, toute progression est arrêtée par les fortins intacts qui offrent des obstacles infranchissables. Une nouvelle préparation s’impose. On s’installe sur les positions conquises et l’on attend le lendemain. Le lendemain, il faut résister à toute une série de contre-attaques accompagnées de liquides enflammés, de pétards, de bombes à ailettes et d’un violent tir de barrage sur nos premières lignes. Mais le 2 mai nous contraignons l’ennemi à abandonner la totalité du bois de la Grille. Tous les fortins occupés par lui seront peu à peu réduits le 2, le 4, le 6 et même le 8 mai ; ce n’est que le 8 mai que sera conquis le dernier à la lisière Nord du bois, après treize heures de lutte ininterrompue.

    La division Hennoque n’a été que retardée dans sa progression par les mitrailleuses. Des nids intacts de mitrailleuses interdiront toute avance à la division Trouchaud, partie avec un même entrain et chargée d’achever la prise du Cornillet et du mont Blond en prenant pied sur les pentes Nord. A droite, le bataillon Duclos est arrêté devant la tranchée circulaire du mont Blond et se stabilise dans les trous d’obus. De même le bataillon de Kérantem, dont le commandant, le capitaine adjudant-major et deux commandants de compagnie sont hors de combat. A gauche, le bataillon Lambert ne peut atteindre la crête du Cornillet, ses éléments de droite parviennent jusqu !aux fils de fer de Flensburg et s’y maintiennent. Le bataillon Carissan parvient à la première ligne allemande et y livre une lutte violente. Les contre-attaques ennemies sont alimentées par la garnison du tunnel du Cornillet qui demeure la clé de la position. Elles viennent échouer devant nos propres mitrailleuses installées dans la tranchée Sud, et tout essai de retour offensif allemand est enrayé. Le 4 mai, à 5 heures et demie du soir, notre attaque est reprise après une nouvelle préparation d’artillerie. Cette fois, le bataillon Duclos dépasse la crête du mont Blond, disparaît, atteint la deuxième ligne allemande, d’où il renvoie à l’arrière une centaine de prisonniers. A sa gauche, le bataillon Pailler, malgré de sérieuses pertes, dépasse une batterie ennemie dont il fait les servants prisonniers. Les éléments avancés atteignent, plus au Nord, une batterie de gros calibre. De même au Cornillet, les bataillons de Soyer et Champel progressent sur les pentes Ouest, prennent un blockhaus, font des prisonniers, mais encore une fois le tunnel du Cornillet alimente instantanément les contre-attaques ennemies qui nous font refluer vers notre tranchée de départ. Seule la possession intégrale du mont Blond est maintenue. Ces attaques des 10 avril et 4 mai ont démontré à l’évidence que, tant que le tunnel ne sera pas détruit ou réduit, tant que sur le versant Nord nous n’aurons pas dépassé ses entrées, nous ne pourrons songer à tenir le Cornillet et ses observatoires. Il faut citer dans l’affaire 4 mai, le cas du soldat Charles Offret, signaleur, qui ramena an poste de commandement dé son régiment plus de quarante prisonniers et trois officiers cueillis par lui seul dans un abri où il les contraignit à se rendre.

    b) LE MONT PERTHOIS, LE MONT-HAUT ET LE CASQUE

    Entre le Mont-Haut et le Casque, dont les sommets nous résistent encore, le mont Perthois fait poche dans nos positions et gêne nos attaques. Il abrite des nids de mitrailleuses. Comme le Cornillet, il porte sur son versant Nord-Est un tunnel savamment aménagé, bien que moins considérable, qui est un abri de premier ordre pour les troupes en ligne et leur permet d’attendre en toute sécurité l’instant favorable aux contre-attaques. L’oeuvre de la division Brulard, qui succède à la division Naulin, sera de réduire cette poche et d’enlever, soit au Mont-Haut, soit au Casque, la deuxième position établie à contre-pente, organisée à loisir depuis octobre 1914, précédée d’un large réseau de fil de fer et flanquée par des mitrailleuses installées dans des blockhaus bétonnés.

    Cette action fait partie de l’opération générale du 30 avril. A droite, le bois du Casque, fortement occupé par l’ennemi, est abordé avec une ardeur remarquable et un ordre parfait. Une mitrailleuse placée à l’entrée arrête un moment le centre du bataillon d’assaut, elle est enlevée de vive force. Une heure après le débouché, nous tenons la partie Sud du bois du Casque sur une profondeur de 200 mètres. Un blockhaus, à l’intérieur du bois, encore occupé par des mitrailleuses, n’a pu arrêter l’élan du bataillon, mais ne sera réduit qu’à a heures du soir, après que tous ses occupants auront été tués sur place. A gauche, trois autres bataillons débordant le tunnel du Perthois, dont ils obstruent l’entrée, ont enlevé les crêtes. La garnison de ce tunnel, 250 hommes et 9 officiers, surprise, n’a pas eu le temps de sortir : vainement elle tentera une sortie ou attendra d’être délivrée ; le 2 mai, elle capitule. Maîtres du Perthois, nous attaquons la tranchée de la Fosse-Froide, mais la gauche, prise de flanc par les défenseurs de la tranchée du Mont-Haut, ne peut dépasser le chemin des crêtes. L’artillerie, flanquées par des mitrailleuses et des pièces d’artillerie sous béton. L’opération de la division Brulard, si elle n’avait pas abouti complètement au Mont-Haut, nous assurait l’usage des observatoires du Casque, de la crête, du Tunnel et du petit Mont-Haut, et nous donnait 600 prisonniers dont 15 officiers, appartenant à quatre des meilleurs régiments allemands : 64e, 18e grenadiers, 396e, et enfin 24e brandebourgeois que le kaiser avait tenté de rendre célèbre par la prise de Douaumont. Comme matériel, nous avions pris 7 pièces de campagne, 12 mitrailleuses et les installations d’une importante place d’armes de tunnel du Perthois).

    c) LE TETON, LE MONT-SANS-NOM ET AUBERlVE

    Un ordre du jour du général J.-B. Dumas, qui commandait le secteur Est à la division Eon qui a pris part à la bataille du 17 avril et qui participera encore à l’attaque du 30 avril, la félicite de sa ténacité et de son endurance :

    Après plusieurs semaines de service en secteur et de durs travaux, les régiments de la division Eon ont attaqué le 17 avril, conquis trois lignes fortifiées et enlevé le Téton et le Casque en faisant 800 prisonniers et prenant 30 canons. Aujourd’hui, à la veille d’une nouvelle bataille, tous les vaillants régiments qui ont participé à l’attaque et à la victoire ont été remplacés par des troupes fraîches ; seuls, les Gascons de la division Eon ont été jugés assez solides encore pour livrer de nouveaux combats, ils sauront conduire les nouveaux venus à de nouveaux succès et, grâce à eux, la victoire de Moronvilliers sera bien la victoire du 17e corps.

    Le commandant du 17e corps a reçu lui-même cette citation à propos des opérations de Moronvilliers, avant de laisser son commandement au général Henrys, l’un des collaborateurs les plus réputés du général Lyautey au Maroc :

    Officier général que placent au premier rang son savoir étendu, sa vive intelligence et son activité inlassable. Commandant le 17e corps d’armée depuis deux ans, a contribué très efficacement à préparer l’attaque de Moronvilliers aussi bien dans l’étude des projets que par son action sur ses troupes. Quitte le commandement, atteint par la limite d’âge, au moment où il vient de brillamment réussir cette offensive dans laquelle le 17e corps d’armée a, sous ses ordres, fait près de 5.000 prisonniers et pris environ 100 bouches à feu.

    La division Eon, le 30 avril, lie pourra progresser au delà de ses positions conquises, mais aura fort à faire pour maintenir la position du Téton, de son observatoire et de la tranchée de Göttingen.

    A l’extrême droite de notre dispositif, la division Riberpray conservera contre les retours offensifs de l’ennemi le Mont-sans-Nom, le Golfe et Aubérive. Son artillerie divisionnaire a déjà pris part à la bataille du 17 avril, mais face au Cornillet et lors de l’avance de la division de Lobit sur le Cornillet et le mont Blond ; son deuxième groupe, ayant reçu l’ordre de se porter en avant pont, appuyer l’exécution de l’infanterie, a donné dans l’exécution de ce mouvement un bel exemple de discipline sous le feu et de confiance dans la réussite de sa mission. Après une audacieuse reconnaissance dirigée par le commandant Moreau et les capitaines Larbey, Berr et Grousset, la batterie de tête a franchi les premières lignes conquises, en dépit des difficultés d’un terrain bouleversé, du bombardement ennemi et des pertes subies. On vit ce spectacle inouï de la batterie attelée grimpant les pentes du Cornillet. Les fantassins un instant s’arrêtèrent, prêts à applaudir les artilleurs. C’est un des faits d’armés mémorables du 17 avril.

    VI. - L’ATTAQUE DU 20 MAI

    Il fgaut achever la bataille engagée le 17 avril. Ce sera l’opération entreprise le ’20 mai pour la conquête du Cornillet et l’assainissement de notre situation au mont Blond, au Casque et au Téton. L’objectif principal demeure le Cornillet qui fut si brillamment enlevé le 17 avril par la division de Lobit, mais dont irons n’avons pu garder le sommet.

    Entre les hauteurs du Mont-Haut et celles de Nogent-l’Abesse s’infléchissent sur Beine, le mont Cornillet domine la plaine de Naurov. Les Allemands avaient installé une dizaine d’observatoires qui commandaient leurs batteries placées dans la région Beine-Nauroy. Pour fortifier cette position si importante, ils n’avaient, nous le savons, rien négligé : le sommet était entouré d’une ligne de tranchées précédée d’un réseau de fils de fer. Des tranchées le réunissaient aux bastions voisins, la tranchée de Flensburg au mont Blond à l’Est, la tranchée de Goslar aux Noelles au Nord-Ouest. Sur ses pentes Nord, un tunnel était aménagé avec trois entrées.

    Ce tunnel a joué le plus grand rôle dans la défense du Cornillet. Déjà, par les prisonniers, nous en connaissions l’aménagement qui, depuis notre conquête, a été vérifié. L’entrée principale était celle de la galerie centrale où aboutissait une piste venant de Nauroy. Les trois galeries étaient creusées parallèlement, chacune pouvant contenir l’effectif d’un bataillon. Une galerie transversale les réunissait presque au centre. Des salles pour les commandants de bataillon, pour les officiers, pour le poste de secours, pour le téléphone, pour les dépôts de munitions et les vivres (dix jours de vivres de réserve) étaient disposées le long de la galerie centrale. L’aération se faisait par plusieurs cheminées et des ventilateurs à bras. Entre les entrées du tunnel et le sommet du Cornillet, une ligne d’abris était destinée aux mitrailleuses et aux grenadiers.

    Le 17 avril, nous nous sommes donc installés sur la tranchée Sud du mont Cornillet, à 200 mètres à peine du sommet. Les Allemands ont construit une tranchée immédiatement au Sud de la crête, face à celle que nous avons conquise. Le 4 mai, nous atteignons cette nouvelle tranchée, mais ne pouvons nous y maintenir. Car le tunnel est resté intact, ses entrées endommagées ont pu être réparées et les troupes à l’abri dans le tunnel alimentent instantanément les contre-attaques ennemies. Tant que les entrées de ce tunnel sur les pentes Nord ne seront pas coiffées, tant que nous ne serons pas descendus à contre-pente au delà de ces entrées et que nous n’aurons pas ou détruit ou capturé la garnison, il nous sera impossible de irons établir au sommet du Cornillet. Nous avons bien pu empêcher l’ennemi de s’en servir pour ses observatoires, mais nous ne pouvons nous-mêmes l’utiliser. Ce tunnel est pareil à un fort invisible dont il faut entreprendre le siège.

    Au moment de notre attaque du 20 mai, la garnison fournie par le 476e régiment (242e division) est la suivante : les commandants des 1er et 2e bataillons, avec leurs officiers adjoints et leur personnel de liaison, un ou plusieurs officiers d’artillerie, 6 compagnies d’infanterie (60 à 100 hommes chacune), 2 compagnies de mitrailleuses, 2 pelotons (80 hommes) de la compagnie de pionniers régimentaires, 2 pelotons (80 hommes) de la 376e compagnie de pionniers, 1 poste de secours, 1 détachement de T. P. S. Le régiment précédent, le 173e (223e division), pendant qu’il tint le secteur du Cornillet, avait entassé trois bataillons dans le tunnel. Mais lors de la relève (17 mai), le commandant, du 476e paraît s’être rendu compte du danger du dispositif adopté par son prédécesseur : « Der Tunnel déclara-t-il, kann durch gaz genommen werden. » (le tunnel peut être envahi par les gaz) : il en restreindra donc la garnison à l’effectif cité plus haut.

    Notre attaque du 20 mai, du Cornillet au Téton, est menée par des régiments appartenant aux divisions Joba, Ferradini, Aldebert. Elle se déclenche du Téton à 16 h. 25 par un très beau temps. Les objectifs sont atteints au Nord et du Casque et au Nord-Est du Mont-Haut. Sur les petites Nord-Ouest du Mont-Haut et au mont Blond, notre progression est arrêtée par des barrages de mitrailleuses et d’artillerie. Le mont Cornillet est enlevé par le 1er zouaves, qui atteint l’entrée des souterrains. Cette fois le tunnel est entre nos mains.

    L’action du 1er zouaves au mont Cornillet peut aisément être présentée à part. Elle est un des épisodes les plus fameux de la bataille de Moronvilliers, et son récit est digne de clore cet historique bien incomplet, qui n’a pu que résumer à larges traits l’ensemble complexe de cette difficile conquête.

    LES ZOUAVES AU CORNILLET

    Le passé du 1er zouaves est un des plus riches et des plus beaux de la guerre. Il fait ses débuts, sous les ordres du lieutenant-colonel Heude, dans la bataille de Charleroi. Il se bat successivement à Clermont (Belgique), Ribemont (Aisne) Villers-le-Sec (Aisne), Montmirail (Marne). Après la Marne, il prend part avec la 1e armée, aux combats de la Ferme du Godat où il perd son colonel et de nombreux officiers. Au plateau de Craonne, il défend pendant sept jours avec acharnement la ferme de la Creute et le bois de la Vallée-Foulon (19 octobre au 26 novembre 1914), ce qui lui vaut une citation du général de Maud’huy, commandant alors le 18e corps d’armée, auquel il est rattaché.

    De I’Aisne, à la fin d’octobre, il est transporté en Belgique ; à peine débarqués, ses bataillons sont jetés inopinément dans la mêlée sur les bords de l’Yser. La tâche est rude, mais il maintient intact, sous le commandement du colonel de Grandrut, le secteur qu’il a pour mission de garder. Ici se place cet épisode à la d’Assas qu’une citation à l’ordre de l’armée (19 novembre 1914) a rendu célèbre et dont le héros est demeuré inconnu :

    « Le 12 novembre (1914), à 5 heures, une colonne allemande se portait à l’attaque du pont de Die Gratchen, défendu par le 1er zouaves, en poussant devant elle des zouaves prisonniers et en criant : « Deuxième bataillon, cessez le feu ! » Un instant nos soldats et leurs mitrailleuses interrompent leur tir, lorsque des rangs allemands part ce cri poussé par un des zouaves prisonniers : « Tirez donc, au nom de Dieu ! » Une décharge générale part alors de nos rangs, couche à terre les assaillants et l’héroïque soldat dont le dévouement avait permis aux nôtres de déjouer une ruse. Si le nom de ce brave reste inconnu, du moins le 1er zouaves gardera-t-il le souvenir de son sacrifice qui honore le régiment à l’égal du plus beau fait d’armes de sa glorieuse histoire. Honneur à sa mémoire ! - Signé : d’Urbal. »

    Du 10 au 24 décembre (1914), le régiment est appelé à participer à la défense d’Ypres, puis il va tenir les tranchées de Nieuport à la mer.

    « Appelés depuis le mois de février, dit le général Rouquerol, commandant le groupement de Nieuport, dans l’ordre général qu’il adresse à ce régiment quand celui-ci sera appelé à d’autres destinées, à la garde d’un secteur difficile, les zouaves ont montré particulièrement dans l’attaque du 9 mai et dans le coup de main du Il juin, par leur bravoure, leur endurance, leur solidité et leur belle tenue sous le feu, qu’ils étaient dignes de leurs glorieuses traditions. »

    Verdun va vérifier mieux encore cette bravoure, cette endurance, cette solidité. Le Il mars (1916), le régiment, sous les ordres du colonel Rolland, est amené sur la rive gauche de la Meuse alors menacée. La ligne Béthincourt, le Mort-Homme, Cumières est alors le théâtre de sanglants combats dont le 1er zouaves a sa part glorieuse. Quelques mois plus tard (octobre et novembre 1916), il s’illustre au cours de la bataille de la Somme dans l’enlèvement du bois de Chaulnes, du Pressoir et du bois Kratz. Il est cité à l’ordre de l’armée en ces termes :

    « Le 21 octobre 1916, après avoir tenu plusieurs jours, sous un bombardement meurtrier et continu et dans des conditions atmosphériques extrêmement pénibles, a coopéré à l’attaque du bois de Chaulnes avec un allant superbe et dans un ordre parfait, atteignant rapidement l’objectif fixé. Le 7 novembre 1916, chargé, sous les ordres du colonel Rolland, d’enlever Pressoir et le bois Kratz, s’est acquitté de la façon la plus brillante de sa mission, après une lutte très vive à la grenade et en dépit d’une violente tempête de vent et de pluie. »

    Tel est le passé du régiment qui aura l’honneur, sous le commandement du lieutenant-colonel Poirel, de prendre le sommet du Cornillet et de s’emparer du tunnel.

    Pour l’attaque du 20 mai, deux bataillons sont accolés en première ligne, à droite le bataillon Simondet, à gauche le bataillon Mare ; le 3e bataillon (Alessandri) est en réserve de régiment. La compagnie du génie 15/12 est mise à la disposition du colonel. L’attention de tous a été particulièrement attirée sur la couverture des flancs et le nettoyage de la position. Les troupes sont mises en place dans la nuit du 19 au 20 mai : les compagnies de première ligne placées dans la première ligne, les unités de deuxième ligne dans la tranchée de doublement. Ce dispositif a pu être réalisé sans pertes sensibles, malgré un puissant bombardement.

    Pendant toute la journée du 20, l’artillerie ennemie exécute un violent tir de contre-préparation qui ne cause que de faibles dégâts, grâce à la profondeur et l’étroitesse des tranchées transformées en ligne de départ. Notre préparation d’artillerie commence dès le jour à une cadence lente qui va en s’accentuant pour atteindre le maximum d’effet vers midi. Dans l’après-midi, vers 1 heure, un Allemand se rend ; il semble affolé, il prétend que toute la garnison du tunnel est asphyxiée par les gaz et qu’elle va se rendre. Vers 2 heures, un détachement d’une trentaine d’Allemands appartenant au 476e régiment, conduit par un sous-officier porteur d’un drapeau blanc, se rend également, disant que la situation des occupants du tunnel est intenable.

    A 4 heures et demie, l’attaque se déclenche sous un soleil levant radieux. Les zouaves sont partis dans un ordre parfait. Cependant, le barrage de l’artillerie et des mitrailleuses ennemies est difficile à franchir. Il faut, pour atteindre la crête, gravir sous le feu une pente de 200 mètres, briser de nombreuses résistances locales, mitrailleuses dans des trous d’obus, blockhaus non détruits, et cependant la crête est franchie. Maintenant l’obstacle ne vient pas de face - il n’y a pour ainsi dire plus d’infanterie allemande - mais du côté du mont Blond, où sont des mitrailleuses et surtout des barrages d’artillerie, car l’ennemi ne doute pas de sa défaite et déjà il écrase le sommet de ses obus. Sans doute croit-il pouvoir encore protéger les entrées de son tunnel et sauver la garnison. Les zouaves descendent les pentes Nord ; le terrain est bien plus bouleversé de ce côté que du côté Sud. Ce bouleversement, pal la gymnastique qu’il exige, est un obstacle à la rapidité de la progression. La compagnie du génie marche avec les fantassins, transportant ses appareils pour nettoyer les abris et le tunnel. La difficulté est de trouver les entrées, car elles ont été obstruées par le bombardement. La réaction de l’artillerie allemande ne s’exerce que sur le sommet. L’ennemi croit sans doute que le tunnel est encore en sa possession. Donc, sur le versant Nord, on est beaucoup moins marmité. On tue ou l’on capture les groupes qui se défendent encore dans les trous d’obus. Une compagnie s’élance même à la poursuite de quelques Boches qui s’enfuient et qui l’entraînent bien au delà de l’objectif fixé, jusque vers Nauroy. Dans la nuit, on fixe la ligne en réunissant entre eux des trous d’obus. Les chefs de bataillon ont installé leur poste de commandement au delà de la crête, sur le versant Nord, dans des trous vaguement aménagés en abris. Vers le milieu de la nuit, des ombres cherchent à traverser nos lignes. On les arrête. Nul doute : il y a encore des Allemands vivants dans le tunnel. Mais où sont donc les entrées ? Au petit jour, deux Boches qui cherchent à fuir nous font enfin découvrir l’entrée principale qui n’est pas bouchée. Le capitaine Legras et le lieutenant Crocher viennent la vérifier : ils la trouvent comblée par l’amoncellement des cadavres sur plusieurs épaisseurs. Un obus de 400 est tombé, le 20 dans la matinée, sur la cheminée d’aération de la galerie Est, a fait effondrer le carrefour de la galerie transversale et écrasé la chambre où se tenaient les deux chefs de bataillon. De plus, un grand nombre d’obus spéciaux ont été tirés sur les entrées. La garnison presque tout entière a péri asphyxiée. Les aides-majors Forestier et Lumière, malgré l’horreur du spectacle, l’odeur et le danger, pénètrent à l’intérieur par une fente et en passant sur un matelas de cadavres dont les attitudes et les poses permettent aisément de reconstituer la scène d’épouvante. Tous sont équipés, harnachés, armés du fusil ou pourvus du sac de grenades, prêts à sortir pour une contre-attaque ; cependant ils ont dû se précipiter vers les issues quand ils ont senti l’asphyxie venir, et ils les ont eux-mêmes bouchées par leur agglomération. Leurs traits crispés, leurs corps piétinés indiquent la lutte violente pour l’air et peur la vie. Plus loin dans la galerie, les cadavres sont moins entassés. Voici le poste de secours : un capitaine du 476e, la tunique déboutonnée, a les deux jambes brisées placées dans des gouttières ; au carrefour, des infirmiers sont écrasés par les poutres effondrées. Cependant, les deux médecins, dans cette cohue de morts, trouvent un vivant qu’ils ramèneront au jour. Ils continuent leur lugubre visite. La galerie qu’ils suivent est maintenant cloisonnée par des couvertures. En soulevant l’une d’elles, ils trouvent sur un banc des bougies récemment allumées. Il y a encore des vivants dans ce souterrain. Cependant d’autres explorations ne feront plus rien découvrir. Le colonel Poirel viendra lui-même inspecter les lieux, les officiers du génie y viendront, et le capitaine Texier, de l’état-major de la division Joba, y sera envoyé en mission spéciale, accompagné de l’aide-major Lumière et de l’aumônier Carrère qui, tous deux, y ont déjà pénétré plusieurs fois. Les travaux de déblaiement, d’assainissement et de remise en état seront entrepris immédiatement.

    Le 21, le 22, le 23 mai, l’ennemi écrase nos positions conquises de ses obus lourds. Il tente des contre-attaques qui sont brisées et qui lui coûtent des pertes considérables. Le commandant Simondet, qui a installé son poste de commandement à l’une des entrées du tunnel, voit cette entrée bouchée par un obus qui, pour comble, met le feu à un dépôt de cartouches. Le voilà enfermé avec ses téléphonistes et ses agents de liaison dans une prison en feu. Dans la fumée, il aperçoit un trou de lumière. Il a trouvé une issue, il fait sortir son monde et il sort lui-même. Cependant il est blessé et il doit passer son commandement au capitaine Canavy. Tandis qu’il panse son chef de bataillon dans un trou d’obus, l’aide-major Forestier l’entend exprimer des craintes au sujet de son personnel de liaison. Tous ont-ils pu quitter la galerie incendiée ? Aucun blessé n’est-il resté au fond ? Le major Forestier achève le pansement, puis, malgré le tir des artilleurs boches qui, ayant vu la fumée de l’explosion, s’acharnent sur l’entrée du tunnel, il pénètre une fois de plus dans le couloir sinistre et, quand il revient, il affirme tranquillement qu’il ne reste personne de chez nous dans le tunnel.

    Quant aux zouaves, il en faudrait beaucoup citer : Mouillard, par exemple, qui, blessé à mort, déclare que c’est très bien de mourir pour la France, et Galmiche, qui brave la douleur de ses blessures en demandant qu’on ne s’occupe pas de lui, puisqu’il meurt pour son pays ; et le mitrailleur Thénier qui, debout sur le parapet, surveille une contre-attaque en marche et qui répond au sergent qui lui ordonnait la prudence : « J’aime mieux mourir debout que couché. »

    Le succès du 20 mai tient pour une bonne part à la mise hors de cause avant tout combat de la garnison du tunnel. L’ennemi, pour résister sur les crêtes, avait placé presque tous ses effectifs en première ligne à moins de 500 mètres de la ligne de feu. Il comptait pour ses contre-attaques immédiates sur ses réserves entassées dans le tunnel : ainsi avait-il résisté les 30 avril et 4 mai. Or, le 20 mai, le bombardement avait provoqué l’effondrement intérieur du tunnel, l’obstruction des entrées, l’asphyxie de la garnison. Pas un homme des deux bataillons engloutis dans le tunnel n’a pu intervenir. La valeur du 1er zouaves, aidé à droite et à gauche par les tirailleurs et les zouaves de la division, a assuré la victoire.

    Après la prise du Cornillet, le général Joba a pu adresser légitimement à sa division cet ordre du jour :

    « Appelée en Champagne pour vaincre les résistances jusqu’ici opposées à nos armes par la forteresse du Cornillet, la division a la grande satisfaction de quitter le champ de bataille ayant rempli la mission qui lui avait été confiée. Dès l’entrée en ligne, sans distinction de grade, d’arme, d’emploi, les volontés de toits, état-major, troupes, services, se sont tendues dans une admirable unanimité vers le but commun.

     » Le Cornillet conquis, tous ont déployé une farouche ténacité il en assurer la possession, malgré la violence inouïe des bombardements.

     » La discipline et la persistance dans l’effort sont les deux qualités primordiales qui assurent le succès : ces qualités, la division les possède.

     » Le général commandant la division exprime à tous sa reconnaissance pour la collaboration sans limites qui lui a été offerte et, en même temps, sa fierté d’être à la tête d’une aussi brillante unité.

     » Il s’incline respectueusement devant les morts qui ont acheté le succès ait prix de leur vie et qui ne seront pas oubliés par leurs frères d’armes.

     » Après la dure période que nous venons de traverser, la patrie nous demande un nouvel effort. A cet appel, nous répondons : « Présent. »

    VII. - LES RÉSULTATS

    Le nombre des prisonniers valides faits au cours des opérations du 20 mai s’élevait il 28 officiers et 937 hommes. Les pertes de l’ennemi avaient dû être considérables : le tunnel seul contenait plus de 600 cadavres. Cependant le communiqué allemand se décidait à avouer la perte du Cornillet et du Téton, et la Frankfurter Zeitung du 22 mai écrivait :

    « Une immense bataille s’est rallumée depuis le 20 mai sur la chaîne des hauteurs que nous tenons dans la Champagne occidentale. L’objectif de ces combats est la possession du sommet de la ligne Nauroy - Aubérive, au Nord de la grand’route Reims-Verdun. Les plus connues de ces hauteurs sont le mont Cornillet et le Mont-Haut ; plus à l’Est se trouve le Téton (Keilberg). Il ne s’agit pas d’une crête étroite, mais de tout un vaste massif sur lequel on a pu établir un système de défense organisé en profondeur. Les côtes et les bois se succèdent jusqu’à la Suippe, au Nord de laquelle le terrain garde la même nature accidentée. Les pentes du mont Cornillet et du Mont-Haut qui, depuis les premières attaques de la mi-avril, se trouvent sur la ligne de combat, ont été chaudement disputées. De leurs sommets nos regards plongent dans les tranchées et les positions françaises. Sur deux des hauteurs nos troupes ont été refoulées par l’assaut d’hier sur le versant septentrional... »

    On ne saurait mieux caractériser l’importance de la position. Le massif de Moronvilliers, sur une longueur de 10 kilomètres, domine la plaine de Châlons, plonge dans nos positions : les regards allemands n’y plongeront plus. Cette formidable barrière dressée devant nous en Champagne, dont nous ne possédions même pas le bas des pentes, qui semblait inexpugnable avec ses fortifications construites et sans cesse perfectionnées depuis plus de deux ans, avec ses tunnels où aboutissaient des voies ferrées et qui constituaient la garantie de contre-attaques soudaines, est tombée entre nos mains. Ce qui ne paraît pas croyable à celui qui débouche de la plaine de Châlons et tombe en arrêt devant la masse calcaire d’un tel objectif, a été conçu par le général Pétain et réalisé ait moindre prix par notre artillerie et notre infanterie. Sans doute il reste à parfaire une situation que l’ennemi ne petit accepter sans de longues et fréquentes réactions. Mais le grand’oeuvre est achevé ; la toiture et les colonnades se bâtiront ou s’étaieront peu à peu.

    Le chiffre total des prisonniers capturés entre le 17 avril et le 20 mai en Champagne dépasse 6.000 hommes de troupe, auquel il faut ajouter 120 officiers. On a dénombré 52 canons, 103 mitrailleuses, 42 minenwerfer, plus un très important matériel de guerre.

    Le général Gouraud, de retour du Maroc, est venu compléter l’oeuvre du général Anthoine, sous la direction du général Fayolle qui avait succédé lui-même au général Pétain, l’homme de Verdun et de Moronvilliers, appelé au commandement en chef des armées du Nord et de l’Est.

    Dans cette guerre où la volonté, l’endurance et la préparation tiennent la part principale, les batailles semblent se prolonger indéfiniment. L’effort des troupes qui maintiennent des positions prises égale et dépasse peut-être quelquefois celui des troupes conquérantes. Les divisions du général Gouraud ont subi, sur les hauteurs et les flancs du massif de Moronvilliers, les plus terribles bombardements et les assauts réitérés des vagues allemandes. Non seulement elles n’ont rien reperdu des positions conquises entre le 7 avril et le 20 mai, mais elles n’ont pas cessé d’élargir, organiser et aérer notre domaine sans cesse menacé.

    UN TEMOIN