vendredi 11 avril 2008, par JFW
Les coteaux au sud ouest de Soissons ont peu connu la brutalité du premier conflit mondial. Souvent lieux de cantonnements, les villages, fermes et creutes ont ainsi peu soufferts. Seules les dernières offensives de 1918 ont marqué ce paysage. Des vestiges de la présence militaire ne sont pas rares dans ces villages ou carrières souterraines, et l’on retrouve souvent des signatures, dates, sculptures ou textes, en différents lieux chtoniens.
C’est en parcourant un bois anonyme de ce secteur que le visiteur curieux peut découvrir la bouche béante d’une bien mystérieuse galerie.
Haute d’environ trois mètres cinquante et large de deux mètres, elle s’ouvre dans une large tranchée nivelée ; cet édifice n’est pas d’origine militaire, comme en témoigne la maçonnerie réalisée en petit appareil et entièrement en pierres sèches.
En pénétrant au sein de ce tunnel, et en le parcourant avec attention, il peut être remarqué qu’à intervalles réguliers s’ouvrent de petites niches ; l’origine même de ces niches est énigmatique car on pourrait supposer que l’édifice étant en pierres sèches, il n’a pas besoin de "boulins" afin d’évacuer les potentielles eaux d’infiltration.
Une niche profonde et de belle proportions s’ouvre également en hauteur, dans le mur nord.
Trois puits d’aération s’ouvrent en ciel, dont l’un ne remonte pas à la surface et est fermé par de la maçonnerie en pierre sèche, rappelant les carrières souterraines de tuffeau de Doué la Fontaine (1). Il est possible que les deux autres puits aient été à l’origine bouchés de la même façon.
Hélas ! Trois fois hélas ! Après quelque 135 mètres parcourus sous un azimut de 35 degrés, un effondrement barre définitivement le passage.
Maintenant que la description en est complète, intéressons nous à sa destination. Plusieurs hypothèses viennent spontanément.
Une descenderie de carrière souterraine ? Non. Les descenderies sont presque exclusivement réservées pour les carrières de gypse ; or, la géologie de cette zone est calcaire. De plus, la galerie ne présente pas de pente et reste donc relativement proche de la surface.
Un aqueduc ? Non. Les dimensions de cet édifice sont trop imposantes pour un aqueduc, et il n’y a ni cunette, ni vestige de tuyauterie. Enfin, la cavité est assez proche du sommet du coteau et aucune source ne se situe dans le prolongement.
Une galerie purement militaire ? Non. La zone était trop éloignée du front pour que le Génie français s’y intéresse et ait eu besoin de forer une telle cavité, et surtout de telles dimensions. D’autre part, les règlements militaires stipulaient que la galerie forée restait soit brute si le terrain le permettait, soit consolidée par un coffrage en bois ; en aucun cas maçonnée en pierres sèches !
L’hypothèse la plus probable que nous ayons, sans pouvoir réellement l’étayer, est celle d’un ancien tunnel de chemin de fer local.
Néanmoins, plusieurs points entrent en opposition :
Trois arguments sont en faveur de cette destination :
Alors, si cette galerie est un ancien tunnel de chemin de fer oublié, quel rapport avec la grande guerre et avec le présent site qui en héberge l’étude ?
Eh bien, il nous reste deux indices à dévoiler.
Le premier indice, discret, consiste en des planchettes en bois encastrées dans la paroi nord à deux mètres de hauteur environ, et ce a trois endroits différents. Et sur ces planchettes se trouvent... des restes de fil téléphonique. Nul doute que si le fil téléphonique était d’origine, sa fixation aurait été mieux conçue et aurait été en accord avec l’architecture générale de la galerie, sans faire tache comme icelle.
Le deuxième indice, tout aussi discret, se situe au niveau de l’effondrement. Alors qu’il a été précisé plus haut que le tunnel ne présentait aucune noirceur due à un dégagement quelconque, il faut bien admettre que ce n’est pas tout a fait vrai. Car les murs et le ciel sont fort noirs juste au niveau de l’effondrement, comme s’il avait été provoqué par un explosif.
Simple ouvrage de génie civil sans aucune corrélation avec le conflit ou cavité réutilisée par les troupes françaises, puis sabotée lors de l’offensive allemande de 1918 ?
Sans pouvoir répondre sans hésitation à cette question, les deux indices trouvés sur place semblent montrer une corrélation avec la guerre, et qu’il a fort bien pu être réutilisé en 1918 par les Français des 51ème DI et 153ème DI alors en place. Une recherche au SHD nous amènera peut être des informations importantes.
Verte Feuille
Une suite s’écrira probablement dans quelques mois, amenant un peu de lumière, telle une lampe à acétylène trouant l’obscurité de l’Histoire...
Grand merci à Nath pour avoir déniché cette cavité et à Quentin pour avoir servi d’étalonnage impromptu.
(1) Les cavités proches de cette ville sont communément appelées cathédrales souterraines ; la technique d’extraction était originale car elle consistait en une exploitation verticale, s’enfonçant de plus en plus bas. Une fois l’exploitation achevée, l’orifice était recouvert de tuffeau et le terrain pouvait alors être (re)mis en culture. Une technique analogue peut également être retrouvée dans les catiches du nord, ainsi que quelques carrière souterraines dans les alentours de Sergine (Yonne)
Crédits photographiques : toutes les photos anciennes et la carte proviennent du guide Michelin des champs de bataille.