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Un extraordinaire épisode de la guerre souterraine dans les Vosges

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lundi 26 janvier 2009, par JFW

Le col de la Chapelotte fait partie de ces champs de batailles oubliés des historiens, loin de Verdun, de la Somme ou du Chemin des Dames. Deux ouvrages anciens en font un peu mention : celui de Jacques Sadoul et celui du Capitaine Peyot. Pourtant, cette zone fut la proie d’une intense activité souterraine qui n’a rien a envier a l’Argonne. Cet oubli fut réparé par le très complet -et excellent- ouvrage de Jacques Bourquin qui a réussi l’exploit de relater cette histoire (surtout les combats de surface, même si un chapitre entier est réservé à la guerre de mines) tant côté français que côté allemand.

L’article qui suit n’a pas pour but d’étudier l’histoire de la guerre de mines sur ce col (un article complet est en préparation) ; il a simplement pour objectif de décrire un épisode riche en rebondissements rappelant certaines pièces de théâtres et qui tint en haleine Français et Allemands pendant 4 mois.

En voici l’histoire, rideaux !

Le 26 aout 1917, la compagnie 27/4 du 11ème régiment de Génie charge un camouflet dans les mines de la Chapelotte ; travail devenu banal au cours des années, et tout se passe sans incident notable. Le camouflet, chargé de 13820 kg de poudre, explose le 27 à 10h10. Comme il est de mise en pareille circonstance, la galerie est ensuite ventilée pour faire disparaitre le plus rapidement possible les gaz toxiques, afin de poursuivre les forages.

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système de mines G’’’ de la Chapelotte, avec le rameau allemand

Dans la nuit du 2 au 3 septembre, une reconnaissance est faite en vue de constater les effets et de reprendre les travaux. Le bourrage est donc dégagé et là, un fait nouveau les attendait : le camouflet a découvert et mis en communication la chambre d’explosion française avec un rameau ennemi. Cette galerie peut être suivie sur une trentaine de mètres avant de se terminer sur un inextricable enchevêtrement de madriers. Un nouveau camouflet est donc chargé dans l’urgence, afin de couper la galerie. Dès que les gaz seront dilués, le Capitaine Grandidier compte préparer un troisième camouflet de 4 tonnes afin de détruire une partie non négligeable du réseau allemand.

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Profil des galeries françaises et allemandes, au niveau de la rencontre

Mais les Allemands ne sont pas restés inactifs. Juste après l’explosion de la deuxième charge de 125 kg, ils ont mis en place un puissant système de ventilation pour faire refluer les gaz du côté français. Malgré la ventilation française en concurrence, "une bougie placée en arrière du barrage était soufflée [côté français]". Ce n’est qu’à minuit que les Français tentent de pénétrer dans la galerie ; mais alors qu’ils commençent à descendre les explosifs pour le camouflet final, les Français entendent des bruits très nets de l’autre côté du barrage, comme si l’ennemi tentait à son tour une explosion. Réagissant aussitôt, le Capitaine Grandidier fait placer une petite charge de 500kg et un microphone afin d’espionner les travaux de l’adversaire, et fait bourrer le tout (A noter que le JMO fait mention de 2500kg, p10). Si les Allemands tentent un camouflet, la charge française causera des dommages non prévus à leur réseau. S’ils tentent de reprendre le travail dans le rameau, le camouflet sera déclenché.

La situation reste en statu quo pendant tout le reste de septembre et octobre, même si quelques bruits suspects allemands sont entendus entre le 19 et le 22 septembre.

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Les trois galeries de droite du système G’’’ (état actuel)

L’acte suivant a lieu dans la journée du 30 octobre. Le microphone placé dans le rameau afin d’espionner l’ennemi se met progressivement à se détériorer pour s’arrêter définitivement le lendemain. La panne est jugée accidentelle car aucun bruit ennemi n’a été entendu auparavant. Mais un doute subsiste car la panne la plus fréquente de ces appareils dans ces conditions d’utilisation, est le fait de l’humidité. Or, la galerie était parfaitement sèche pendant les travaux, la pose de la charge et le bourrage. Une autre hypothèse plausible est la rupture du cable, mais aucune vibration qui aurait pu la provoquer n’a été ressentie. Bien étrange en vérité que cette panne.

Quoi qu’il en soit, cet appareil est jugé indispensable pour la stratégie du Génie. Le capitaine fait donc débourrer la galerie afin de réparer ou remplacer le microphone.

La visite de la galerie révèle une humidité étonnante sans aucune mesure avec ce qui avait été constaté lors de la mise en place de la charge ; en s’avançant plus en avant dans la galerie, force est de constater que cette dernière est complètement inondée, noyant également les explosifs.

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Galerie la plus à gauche du système G’’’

La réponse de l’adversaire ne s’est donc pas fait attendre : ils ont utilisé une nouvelle arme originale, l’eau, afin de rendre inoffensif le camouflet et d’empêcher par la même occasion toute incursion française dans leur système de mines.

La surveillance française ne se relâche pas et une visite périodique est programmée ; cette visite révèle que tous les jours ou tous les deux jours, le niveau d’eau remonte jusqu’au ciel de la galerie, preuve que l’adversaire surveille aussi le niveau ; cette remontée du niveau est précédée par les mêmes bruits étranges entendu mi septembre : ils pompent l’eau jusqu’à un réservoir puis l’eau est lâchée d’un coup dans la galerie ; la partie allemande est protégée par un barrage étanche pour éviter tout retour intempestif.

Côté français, deux hypothèses sont envisagées :

  • soit ce noyage a pour but de neutraliser le camouflet français et permettre ainsi aux mineurs allemands de reprendre leur travail sans crainte d’une explosion,
  • soit ce noyage a pour but de rendre définitivement inerte les explosifs, puis de charger a leur tour un camouflet et ainsi de rendre la monnaie de leur piece aux Français.
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Entrée de galerie, côté allemand

La décision prise ne manque pas de piquant : le capitaine fait installer une pompe -sans la faire fonctionner pour le moment-, un nouveau microphone en amont de la partie noyée (juste au niveau du bourrage français), et une tonne d’explosif est entreposée à proximité, ainsi que tous les matériaux de bourrage. Le but est de pomper rapidement l’eau noyant la galerie et d’installer tout aussi rapidement un nouveau camouflet si les mineurs allemands prennent l’initiative d’installer leurs explosifs.

Bref, pour résumer : les Français font sauter un camouflet, découvrent le rameau allemand, en font sauter un deuxième pour avoir le temps d’en préparer un troisieme beaucoup plus important, temps qui leur manque à cause de l’activité allemande, et décident donc de réduire leur prétention et d’attendre le moment propice, se rendent compte que les Allemands ont noyé leur embryon de camouflet ; puis ils decident alors que si les Allemands veulent à leur tour faire un camouflet, ils vont pomper l’eau pour faire eux même un camouflet ! Ouf !

Mais l’histoire n’est pas encore terminée : une semaine après, l’ennoyage systématique allemand est interrompu ; pendant ce temps, les Français installent à leur tour un réservoir d’eau, d’une contenance de 50m3, mais sans faire usage de pompes, certainement pour être plus discrets et ce sont les eaux d’infiltrations du système de mines qui sont recueillies ; ainsi, le 14 décembre 1917, 30m3 ont été rassemblées et à cette date, seule la partie immédiate du camouflet français est encore noyé.

Et, je cite le capitaine "Tous les jours nous entendons distinctement l’ennemi qui vient derrière son barrage probablement pour en vérifier l’état et écouter. Très souvent il frappe quelques coups très nets qui sont probablement des appels auxquels il espère nous faire répondre pour constater si nous sommes dans le cheminement et en quel point. Bien entendu nous ne répondons pas à cette invitation."

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Les Allemands semblent donc penser que le camouflet noyé est hors d’usage et restent simplement sur la défensive, sans vouloir reprendre le combat souterrain. Cette constatation est d’ailleurs confirmée par d’autres rapports français qui rendent compte de l’inactivité allemande depuis fin 1917. Cela conduira a un arrêt français en avril 1918 et une destruction du système en mai.

Le rideau peut maintenant se refermer sur cet épisode peu commun et qui n’a entrainé aucune victime pendant quatre mois...

Bibliographie

Archives du SHD, Vincennes

JMO de la compagnie 27/4 du 11e régiment du Génie

JMO du Génie divisionaire de la 12ème DI

Bourquin (Jacques), La Chapelotte - Société philomatique vosgienne - 2005

Sadoul (Louis), La Guerre dans les Vosges (le Donon, la Chipotte, Raon-l’Étape, la Chapelotte, Le Pays Lorrain, Nancy, 1922

Dupuy (Capitaine E.) La Guerre Dans Les Vosges - - Payot - 1936

LE PAYS LORRAIN & LE PAYS MESSIN - 13e année 10/1921 - N° 10. (n° 177)

LE PAYS LORRAIN & LE PAYS MESSIN - 13e année 11/1921 - N° 11. (n° 178)

LE PAYS LORRAIN & LE PAYS MESSIN - 13e année 12/1921 - N° 12. (n° 179)

LE PAYS LORRAIN & LE PAYS MESSIN - 14e année 01/1922 - N° 1. (n° 180)

LE PAYS LORRAIN & LE PAYS MESSIN - 14e année 02/1922 - N° 2. (n° 181)

LE PAYS LORRAIN & LE PAYS MESSIN - 14e année 03/1922 - N° 3. (n° 182)