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Les mines françaises de la cote 60

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vendredi 23 octobre 2009, par Eric L.

La cote 60, kesako ?

Sur le front, sont bien connues les cotes 100, 108 ou encore la célèbre cote 304. A l’inverse, la cote 60, appelée aussi « mamelon vert » est une appellation qui n’évoque plus grand-chose de nos jours. En revanche, la dénomination Anglaise est quant à elle restée dans l’histoire : Hill 60 … Mais il ne faut pas oublier que cette proéminence située à l’est d’Ypres a eu, comme nous allons le voir, une histoire entre la fin novembre 1914, et le passage du témoin aux Anglais en février 1915.

La cote 60 est l’un des 3 promontoires artificiels formés des déblais résultant du creusement, à la fin du XIXe siècle, de la tranchée accueillant la ligne de chemin de fer reliant Ypres à Comines. Le fait que ces buttes soient formées de matériaux décompressés va avoir une influence sur le creusement des tunnels et des mines dans le secteur. A ce titre, ces 3 promontoires restent des exemples uniques qui ont été étudiés de près par les géologues et qui, au moins pour la cote 60, ont fait l’objet de publications dans plusieurs ouvrages spécialisés de géologie militaire [1] [2].

La cote 60 de novembre 1914 à février 1915

Début novembre 1914 « la course à la mer » prend fin ; la guerre s’enlise. Cependant, les Allemands souhaitent frapper un coup décisif après leur échec sur l’Yser. C’est dans le secteur d’Ypres que va se jouer la bataille, connue sous le nom de « première bataille d’Ypres » qui se déroule durant le mois de novembre. La journée du 11 novembre est particulièrement dure ; les Allemands qui ont jusque là été dans une phase offensive, sont contraints de se replier.

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Offensive Allemande du 10/12/1914. Source Guide Michemin des champs de bataille, transmis par Didier (Chtimiste).

Début décembre, les Français sont maitres de la cote 60. Mais ils en sont délogés par les Allemands le 10 décembre. Ces derniers vont immédiatement construire un fortin au sommet de la butte permettant aux mitrailleuses de prendre en enfilade les positions Françaises. La prise de la cote 60 « par surprise », comme le mentionne un JMO, semble être la conséquence d’une mauvaise coordination entre les 38 et 42e divisions ; la lecture de ces même JMO montre surtout un inquiétant « ce n’est pas moi, c’est l’autre » entre les brigades auxquelles appartiennent ces divisions ! [3]

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Situation du front dans le secteur de la cote 60 à la mi-décembre. Source : Service Historique de la Défense.

Il va donc devenir prioritaire de réduire au silence le fortin situé sur la lèvre nord de la cote 60. Les sapeurs des compagnies 15/5 et 6/3 respectivement du 7e et 9e Régiment du Génie vont commencer dès la mi-décembre à pousser d’abord une tranchée, puis une sape couverte depuis le talus de la voie de chemin de fer, en direction du fortin Allemand. Le 20 décembre, tandis que la voie de chemin de fer est toujours prise en enfilade par les mitrailleuses Allemandes, les travaux de sape sont maintenant à moins de 10 mètres des premières lignes. Le travail de surface devenant impossible à réaliser, il est donc décider de poursuivre en souterrain par le creusement de deux demi-galeries qui seront poussées vers le fortin. Le 22 décembre, le général Deville accompagné de l’état-major et du commandant du Génie du 32e corps d’armée conclu, après une visite dans le secteur « qu’une attaque lente par des procédés de guerre de siège est bien le meilleur moyen d’enlever le fortin 60 ».

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Les deux mines Françaises sous le fortin 60. Source : Service Historique de la Défense.

Les travaux de creusement vont se poursuivre jusqu’au 27 décembre, date à laquelle les chambres de mine seront achevées. La longueur totale des deux galeries est d’environ 25 mètres. L’avancée journalière dans ce terrain si particulier constitué d’argile et de sable mélangée est comprise entre 1 et 4 mètres. Une avancée de plus de deux mètres par jour peut être considérée comme importante ; les sapeurs Français employant à cette époque uniquement des techniques manuelles, et n’utilisant pas, la fameuse technique anglaise dite du "clay-kicking" qui sera importée en France au printemps 1915. Cette progression journalière est à mettre au regard de celle mentionnée pour la craie champenoise, autre roche tendre, qui n’était au maximum "que" de 1,7 mètres par jour [4].

Le jour même, soit le 27 décembre, les chambres de mine seront chargées, l’une avec 650 kg et l’autre avec 380 kg de cheddite. Les lignes de moindre résistance étant respectivement de 6 et 4 mètres. Les deux fourneaux seront mis à feu le 29 décembre en début d’après-midi, provoquant une destruction complète de l’ouvrage Allemand. De ce point de vue, l’opération du Génie est un succès. Mais chose surprenante, le soir même la 42e DI sera relevée par les éléments du 16e corps d’armée, sans que l’avantage obtenu par les explosions des deux mines soient mis à profit pour reprendre la butte. Les fantassins Allemands reconstruiront d’ailleurs le jour même, leur ligne au bord des cratères. Cependant, le général Humbert, commandant le 32e corps d’armée adresse ses félicitations au commandants des unités du génie impliquées dans cette action : « L’explosion du mamelon vert à parfaitement réussie : le fortin a été bouleversé ; les défenseurs des ouvrages environnants ont pris la fuite. C’est un magnifique adieu laissé par le 32e C.A. à ses ennemis du XVe Corps Allemand. » [5].

Durant le mois de janvier, les pluies importantes vont stopper la plupart des travaux dans le secteur. Quelques travaux de sape seront néanmoins entrepris au niveau du hameau de Zwartellen. A la cote 60, plus aucune action offensive du génie ne sera réalisée avant de laisser le secteur aux Anglais début février 1915.

A partir du printemps 1915 et jusqu’en été 1917, les tunnellers Britanniques puis les Australien vont faire entrer la cote 60 dans la légende … mais ceci est une autre histoire !

Notes :

[1] P.F. Rose, C.P. Nathanail : Geology and warfare : examples of the influence of terrain and geologists on military operations, 2000

[2] J.R. Underwood, P. L. Guth : Military geology in war and peace, 1998

[3] Voir à ce sujet les JMO des 75e et 84e brigades.

[4] Voir à ce sujet les rapports du commandement du Génie lors de la guerre de mines dans les saillants de Jonchery, cote 22N203

[5] Voir la cote 26N1293