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enquête au 91RI (deuxième partie)

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mercredi 3 août 2011, par JFW

Comme vous pouvez vous en douter, Si nous avons réussi à retrouver cette lettre et à vous la retranscrire, c’est qu’elle n’est jamais parvenue à sa destinataire.

Si elle n’est jamais parvenue à sa destinataire, c’est qu’elle a été interceptée et ouverte par le Deuxième Bureau.

Et là, les problèmes commencent !

En effet, dès le 26 mai (lendemain de l’écriture de ladite lettre), le Deuxième Bureau écrit le rapport suivant. La lettre du soldat Leroux n’a pas été retranscrite dans la première partie, tant elle était illisible.

IIe Armée Etat-Major 2e Bureau

Q.G.A, le 26 mai 1916
Note du S.R.

Le soldat Leroux François, de la 10e compagnie du 91e RI, S.P. 59, écrit, à la date du 25 mai 1916, ce qui suit :

"Je suis pas loin des Boches, on les voit tous les jours. Ce matin, on leur a causé et on a fait un échange de pains et ils nous ont donné des journaux et du sucre. Ils avaient pas froid aux yeux les vaches là."

Il envoie à ses parents, dans sa lettre, un échantillon de pain allemand. Un militaire du même secteur, qui signe Duperrin, envoie également un échantillon de ce pain dans sa lettre, qui relate les faits suivants :

"Puisque vous aimez à ce que l’on vous raconte des faits de guerre, je vais vous dire la distraction que nous avons eu ce matin.

Entendant les boches qui enfonçaient des piquets dans leur tranchée et ne pouvant les faire arrêter en leur lançant des grenades, dégoutés de tant de toupet nous avons pris des cailloux et leur avons lancés dessus, amusés eux aussi par cette représailles de projectiles, ils se sont mis à nous causer, nous leur avons répondu, puis voyant qu’ils n’avaient pas l’air très farouches, nous leur avons lancé un morceau de pain avec lequel j’ai mis un morceau de votre chocolat (vous ne m’en voudrez-pas ?), à leur tour ils nous ont envoyés de leur pain K.K. et du sucre, puis des journaux et enfin une grande conversation s’est faite. Un des leurs s’est enhardi à montrer sa tête puis voyant que nous ne tirions pas dessus, 2, 3, 4 se sont montrés aussi. Alors, comme eux, nous nous sommes montrés et par curiosité nous sommes regardés ainsi pendant 1/4 d’heure. Comme un de nous fumait un cigare, un boche lui dit qu’il voudrait bien en fumer aussi et s’il ne pourrait pas lui en vendre, aussitôt nous avons satisfait à son désir, et comme paiement nous a envoyé un mark et un paquet de leur tabac, un des leurs connaissait justement le français et un lieutenant de chez nous l’allemand, c’est ainsi que nous avons pu nous comprendre. Sur une de nos questions, ils ont répondu qu’ils en avaient assez de cette guerre, mais qu’ils étaient sûrs de leur victoire.

Bon ! J’apprends à l’instant que ce soir malgré que ce n’est pas le jour, nous sommes relevés, c’est fort dommage sans celà c’eut été été intéressant d’être ici".

Ci-joint l’original des deux lettres en question

Le caporal est bien entendu interrogé par le Deuxième Bureau séance tenante, et après interrogatoire (et certainement sous la pression d’une accusation devant le tribunal militaire), signe la déclaration suivante :

Déclaration :

Je soussigné Georges Duperrin caporal classe 1914 à la 10e compagnie du 91e régiment d’infanterie certifie ce qui suit. "J’ai envoyé à Mademoiselle J. Widt, demoiselle que je connais pas particulièrement et que j’ai vu pour la première fois à l’infirmerie de la gare Porte Neuve Dijon, une lettre contenant des renseignements mensongés ou complètement exagérés. Voici en quoi se résument les faits qui se sont réellement passés. Il était en ce moment 5h1/2 du matin ; le sergent Lebon, ayant quitté son service à 4h, avait en entendant les Allemands enfoncer des piquets dans leur tranchée, lancé une grenade, celle-ci à son idée n’allant pas assez loin, il prend une pierre qui tombe dans la tranchée ennemie, à ce moment, les Allemands en lancent aussi mais le sergent Lebon n’y était plus. A ce moment, car j’étais de service, je passais à cet endroit et reçois une pierre sur mon casque, j’y réponds par la même façon, puis ce fut enfin une pluie de représailles de ces ustensiles. Les Allemands se mettent à nous appeler Camarades, puis nous lancent une pierre pliée dans un de leurs journaux ; ne pouvant y lire ni comprendre ce qu’ils disaient, j’accouru chercher le soldat Le Tourneur qui lui sachant l’Allemand, nous répétait tout ce qu’ils disaient. Une seconde fois encore nous recevons un autre journal dans lequel était plié un morceau de pain noir et du sucre, à notre tour pour bien leur faire voir que nous avons de bon pain blanc, nous leur en avons lancé un morceau. Ici s’arrêtait nos échanges et notre vue, car d’un créneau nous avions cru apercevoir une tête et pour en être bien certain avons regardé par dessus le parapet, c’est là que les Allemands se sont montrés. Aucun officier ni autre gradé que moi était au courant de ce qui se passait, sauf le sergent Verviel de garde en ce moment qui avait entendu des cris, mais sans toutefois savoir au juste ce que c’était ; il ne l’a su qu’une demi heure après. Je ne me suis pas rendu compte de la gravité de mes paroles mensongères écrites sur cette lettre, sans aucun but et simplement pour allonger la lettre afin de mieux me faire voir vis à vis d’elle sans doute, je n’avais pas du tout conscience comme à présent de ce que je disais. Le 30 mai 1916 Duperrin