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Coup de main exemplaire à la ferme de la Petite Douve (Messines)

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jeudi 18 octobre 2012, par JFW

Pour patienter (encore !) en attendant l’article sur les tunnels de Champagne, voici une perle du SHD. Même si ce compte-rendu ne concerne point le patrimoine souterrain -c’est pour cette raison qu’il est publié dans cette rubrique-, il n’en est pas pour autant inintéressant.

Intéressant donc pour plusieurs raisons :

  • il s’agit d’un des rares compte-rendus français précis concernant un coup de main canadien ; il le cite comme exemple à suivre pour les (futurs) coups de main français,
  • même s’il n’est pas très objectif (les Canadiens sont nettement mis en avant par rapport aux Allemands ; nul doute que si le coup de main avait raté, le compte rendu aurait été beaucoup plus... sibyllin !), il retrace un des hauts faits d’armes de l’armée canadienne,
  • il est exceptionnel par son résultat : 1 soldat canadien blessé et 1 autre tué... par accident, alors qu’il fait 50 victimes chez l’adversaire (en plus des prisonniers),
  • et ... nous pouvons retrouver quelques traces de cet événement de nos jours, en visitant le musée canadien : http://www.museedelaguerre.ca/cwm/exhibitions/guerre/trench-raids-f.aspx

A noter une erreur dans la date soit du rapport du G.Q.G, soit dans la page du musée canadien. Je suis plus enclin à faire confiance dans le rapport.

Pour conclure, la ferme de la Petite Douve fut ensuite l’objet d’attaque massive par la mine du côté britannique en 1917, mais ceci est une autre histoire.

Grand Quartier Général

des Armées de l’Est

Etat Major

3e bureau

n°4710

Au G.Q.G. le 9 décembre 1915

récit détaillé d’un coup de main effectué dans la nuit du 16/17 novembre par des unités de la 2e Brigade canadienne.

Cette opération peut servir de modèle pour la préparation et l’exécution de toutes celles qui ont pour projet de faire des prisonniers et d’entretenir dans nos troupes de première ligne le sentiment de leur supériorité morale sur l’ennemi.

L’opération exécutée dans la nuit du 16 au 17 novembre dernier par la 2e brigade canadienne (5e et 7e btns) a été couronnée d’un succès tel qu’elle semble mériter d’être étudiée pour les leçons qu’on peut en tirer.

Cette attaque, effectuée par deux partis de 25 hommes environ chacun, dont l’un ne peut rien faire et l’autre ramène 12 prisonniers et tue quelque 50 Allemands au coût total d’un blessé et d’un homme tué par accident, doit sa réussite à deux causes : la première réside dans la supériorité absolue de moral des assaillants grâce à laquelle ils ont pu faire tous les préparatifs nécessaires sous le nez d’un ennemi qui n’ose plus bouger ; la deuxième est la perfection de ces préparatifs dont il semble que le moindre [détail] n’avait été omis de sorte que rien ne fut abandonné au hasard.

Le maréchal French, dans ses récentes instructions à ses officiers, a prescrit que tous les moyens fussent employer pour rendre aux allemands la vie telle qu’elle leur fût un fardeau. Si, en outre de l’utile activité de l’artillerie il est effectué sur tout le front des opérations aussi fructueuses que celle dont j’ai l’honneur de donner ci-dessous le résumé, les pertes infligées à l’ennemi pendant cet hiver seront sensibles et son moral sera atteint en même temps que ses ressources en hommes, à un point qui facilitera les opérations le jour où reprendra l’offensive.

Le but de l’opération était d’agir sur le moral de l’ennemi, de lui faire des prisonniers et de lui infliger des pertes en le forçant à amener des réserves sous le feu de l’artillerie.

NOMBRE DES POINTS D’ATTAQUE

Deux attaques simultanées furent prescrites. Le point d’attaque de gauche fut choisi pour les raisons suivantes

a) la marche d’approche pouvait avoir lieu sur la rive droite de la rivière de la Douve,

b) l’objectif d’attaque ne pouvait être pris d’enfilade par l’ennemi que d’un seul point, lequel était aisément atteint par les projectiles de nos engin de tranchées,

c) il y avait 3 voies de retraite, toutes défilées aux vues,

d) l’objectif d’attaque avait déjà été violemment bombardé à diverses reprises sans qu’une attaque s’en suivit,

e) il était en outre protégé par un réseau de fil de fer épais et par la Douve, ce qui inspirait aux défenseurs une fausse sécurité.

Le point d’attaque de droite fut choisi pour les raisons suivantes :

a) marche d’approche défilée aux vues,

b) point particulièrement fort de la ligne ennemie,

c) la distance qui le séparait du point d’attaque de gauche était telle qu’elle amènerait l’ennemi à croire à une attaque sur un front étendu.

CONSIDERATION D’ORDRE GENERAL

Les patrouilles et éclaireurs de la 2e brigade canadienne avaient été depuis longtemps d’une activité telle que l’ennemi avait du renoncer à avoir aucun poste découte et à jamais envoyer de patrouilles. Peu avant le jour de l’attaque, les éclaireurs canadiens avaient coupé les fils de fer allemands, se frayant un chemin jusqu’à la tranchée allemande dont ils avaient même gravi le parapet. Ils ne cessaient de circuler et de patrouiller sur tout le terrain compris entre les 2 lignes.

PREPARATION DE L’ATTAQUE

L’attaque décidée, on choisit pour l’exécuter les officiers et hommes les plus aptes ; ces hommes, tous volontaires, furent pris dans la même compagnie, afin de conserver le lien tactique. Ils furent cantonnés pendant une semaine dans une ferme ruinée située en arrière de la première ligne et on les y pourvu d’une installation aussi confortable que possible, et surtout de chauffage. Dans un camp adéquat fut établi un fac-similé de l’objectif d’attaque et de ses entours, et des répétitions de l’opération eurent lieu de jour et de nuit, sans qu’aucun détail fût omis, y compris la retraite. Officiers et hommes accompagnèrent de nuit les patrouilles d’éclaireurs sur le terrain qu’ils auraient à parcourir afin de le parfaitement connaître. Les échelles de franchissement, les ponts pour traverser la Douve, furent construits et essayés. On plaça les grenades dans des sacs à terre au nombre de 20 dans chaque sac. Les hommes furent exercés à franchir les réseaux de fil de fer au moyen de grillages à lapins. Outre le chauffage surtout utile après l’opération, on prépara du linge, des chaussettes, des effets de rechange. Grâce à tous ces préparatifs et au fait que chacun savait exactement son rôle, tout se passa comme un travail d’horlogerie.

ORGANISATION DE L’ATTAQUE

Attaque de gauche : a) 4 éclaireurs pour couper les fils de fer,

b) 1 officier et 13 hommes (détachement de gauche) pour attaquer et bloquer la tranchée sur le flanc,

c) 1 officier et 12 hommes (détachement de droite) ayant même mission,

d) détachement de garde des deux ponts : chacun 3 hommes armés de fusil,

e) détachement de "fusiliers" pour l’attaque de la tranchée 1 officier et 5 hommes, plus 2 téléphonistes (avec 1 appareil) et 2 brancardiers,

f) détachement de soutien du poste d’écoute : 1 sous-officier, 10 hommes, 2 téléphonistes (avec un appareil),

g) détachement de réserve (qui reste dans la tranchée de départ) : 2 sous-officiers et 20 hommes.

Attaque de droite : fût organisée avec les mêmes bases.

PRECAUTIONS PRISES POUR L’ATTAQUE

a) suppression de toutes marques et pièces permettant une identification,

b) tous les officiers et hommes prenant part à l’attaque se masquèrent la face avec un voile noir pour que le visage ne fut pas visible dans l’obscurité, et comme signe distinctif permettant aux assaillants de se reconnaître entre eux,

c) des lampes électriques de poche, que l’on se procura dans le pays, furent fixées aux canons de fusil des hommes armés de la baïonnette ; de la main qui tenait le canon de l’arme on pouvait les allumer. Cela permettait d’aveugler l’adversaire et de voir dans l’intérieur des abris,

d) des réseaux de fil de fer furent préparés et emportés pour bloquer les tranchées ; des revolvers et des cisailles furent distribuées aux hommes qui pouvaient avoir à en faire usage,

e) des points de repère furent établis d’avance sur les différents itinéraires et aux emplacements des dépôts de grenades.

CONDITIONS CLIMATIQUES

L’attaque, prévue d’abord pour la nuit du 15 au 16 novembre, fut remise à la nuit suivante en raison de la hauteur des eaux de la Douve. L’heure fixée avait d’abord été minuit parce que c’était une heure rarement choisie pour les attaques et qui offre l’avantage en cas d’échec d’avoir assez de temps avant le lever du jour pour attendre à couvert que le feu de l’ennemi se taise, et pouvoir se retirer inaperçu. Mais la pleine lune et la gelée blanche qui faisait craquer l’herbe sous les pas auraient décelé la marche d’approche. L’heure de l’attaque fut donc remise à 2h30’, une demi-heure après le coucher de la lune.

PREPARATION ET SOUTIEN PAR LE FEU

Le 16 novembre à 9h du matin, les réseaux de fil de fer furent bombardés non seulement en face des objectifs d’attaque, mais aussi sur divers autres points, et un groupe d’obusiers prit à partie les tranchées qui devaient être attaquées, ainsi que les boyaux y donnant accès. Une batterie de mortiers de tranchée bombarda la ferme de la Petite Douve et un abri de mitrailleuses durant l’après midi, et par intervalles au cours de la nuit.

Ces mêmes objectifs furent en butte à un feu de mitrailleuses ainsi que certains points en arrière, ces derniers pendant les préparatifs de l’attaque. Pendant la journée et la soirée, les "snippers" (tireurs d’élite embusqués), les batteries de fusils et les fusils lance-grenades déployèrent une grande activité. Et durant la nuit une fusillade lente fut entreprise des entours des points de départ des attaques pour couvrir le bruit fait par les patrouilles. Pendant l’attaque, l’artillerie fit un tir de barrage en arrière des tranchées allemandes et bombarda tous les chemins, pistes et boyaux par où des renforts pouvaient venir. La batterie de mortiers de tranchées bombarda violemment la ferme de la Petite Douve, en même temps que de la ligne canadienne était déclenché un feu intense par les mitrailleuses, les batteries de fusils et les fusils lance-grenades.

TRAVAIL DES ECLAIREURS

Dès que le tir de l’artillerie destiné à couper les fils de fer eut pris fin, c’est à dire à 4 heures du soir, les éclaireurs sortirent pour se rendre compte du résultat obtenu. Devant le point d’attaque de droite, le réseau de fil de fer fût signalé détruit. Devant le point d’attaque de gauche, par contre, il était à peu près intact, une rangée d’arbres ayant fait éclater prématurément les obus ; il fut donc décidé que ces fils de fer seraient coupés à la main. A la nuit, 4 éclaireurs se mirent à ce travail, mais n’opérant toutefois que quand la lune était couverte par les nuages. Il leur fallu plus de trois heures pour faire deux brèches complètes en coupant le réseaux de biais par rapport à la tranchée ennemie afin que ce ne fut pas visible. Ces quatre travailleurs reçurent à trois reprise du cacao chaud pour se soutenir et on leur apporta également des gants neufs au cours de l’opération. De même, les éclaireurs qui lançaient les ponts furent restaurés par du cacao. Leur travail était très délicat et dure jusqu’à deux heures du matin. L’un de ces ponts était à 15 mètres du parapet de l’ennemi. Des dépôts de grenades furent réparés le long de l’itinéraire.

EXECUTION DE L’ATTAQUE DE GAUCHE

Confiée au 7e bataillon (Colombie Britannque), l’attaque fut lancée au moment où tombait une violente avers. La colonne suivit la rive droite de la Douve et, dirigée par les éclaireurs, franchit cette rivière sur le pont que ceux-ci avaient préparés. Une sentinelle ennemie qui s’abritait de la pluie sous un morceau de tôle ondulée fut abattue d’un coup de revolver par un des officiers et les deux détachements de grenadiers se séparèrent pour attaquer de deux côtés à la fois la tranchée que l’on trouva fortement occupée : les abris étaient à peu près pleins. L’un des partis commença par extraire quelques prisonniers (12) puis on tua tout le reste à la baïonnette ou en jetant des grenades dans les abris. Ce pendant, les extrémités de la tranchée étaient solidement bloquées, et la communication téléphonique avait été dès le début établie avec les tranchées de départ. Toute l’opération se déroula sans le moindre heurt : à 2h23’ se déclenchait le tir de barrage, à 2h32’ on pénétrait dans la tranchée ennemie, à 2h34, un coup de téléphone faisait savoir à la tranchée de départ que tout allait bien. Une légère contre-attaque à la grenade tentée au bout d’un quart d’heure fut aisément repoussée. A 2h52’ au bout de 20 minutes, comme il avait été prescrit, le signal de départ fut donné par un sifflet ; les prisonniers avaient et renvoyés dès le début. Malheureusement, un homme en les accompagnant trébucha ; son fusil tomba et tua l’homme qui le précédait. On retira les armes et l’équipement du mort ainsi que tout ce qui aurait pu contribuer à renseigner l’ennemi, et on laissa le cadavre. En dehors de ce fâcheux accident, il n’y eut qu’un blessé légèrement. Des ponts lancés sur la Douve, 2 furent enlevés par les éclaireurs aussitôt que le détachement fût revenu sur la drive droit ; le 3e pont fut rapporté la nuit suivante. toutes les grenades non utilisées furent aussi rapportées. Les hommes au retour se changèrent et se réchauffèrent.

ATTAQUE DE DROITE (5e bataillon)

Des éclaireurs avaient rendu compte que le réseau de fil de fer était coupé devant la tranchée ennemie sur un front de 20 mètres ; mais il y avait en arrière un fossé plein d’eau et pourvu d’un réseau de fil de fer intact qu’il n’avait pas vu. Les 5 hommes marchant en tête tombèrent dedans, en n’en furent pas retirés sans difficultés. Cela attira l’attention des Allemands qui ouvrirent le feu, mais des grenades les contraignirent à se tenir tranquilles. Pendant que l’on retirait des fils de fer du fossé plein d’eau les hommes qui y étaient tombés,c e qui dura quelque temps, les éclaireurs cherchaient un autre passage pour accéder à la tranchée ennemie. Aucun n’ayant pu être trouvé, le détachement se retira, l’arme sous le bras, sans subir la moindre perte. Lorsque les deux détachements eurent regagné leurs tranchées, l’artillerie canadienne raccourcit son tir et bombarda les tranchées allemandes qui venaient d’être attaquées.

REACTION DE L’ENNEMI

Elle fut nulle durant 3/4 d’heure, à l’exception de la légère contre-attaque à la grenade ci-dessus mentionnée. Au bout de 3/4 d’heure, une contre-attaque fut lancée de deux côtés sur la tranchée qui avait été prise, exécutée sans doute par le personnel resté vivant à proximité immédiate. Le feu de l’ennemi fut dirigé exclusivement sur la route de Messines et son barrage d’artillerie fut très lent à venir. Il dût penser que sa ligne était percée car la ferme de la Petite Douve fut évacuée et sa deuxième ligne ouvrit une fusillade et un feu de mitrailleuses nourris.

PERTES INFLIGEES

En outre des 12 prisonniers, l’ennemi perdit de 30 à 50 hommes tués. le feu de l’artillerie dût lui en faire perdre d’autres. Cette attaque fût pour lui une surprise absolue.

CAUSES DU SUCCES

1° Supériorité de moral acquise à un tel degré que l’ennemi n’ose même pas et par suite ne put pas se rendre compte de tous les préparatifs de l’attaque, il n’avait plus un poste d’écoute, et, depuis plus d’un mois, il était obligé de subir la volonté des Canadiens dont les éclaireurs venaient constamment l’insulter.

2° Soin avec lequel tous les détails furent étudiés, prévus et préparés ; de telle sorte que rien ne fût abandonné au hasard, des répétitions de l’opération ayant même eu lieu à plusieurs reprises.

3° Bonne coordination de l’artillerie et de tous les moyens d’attaque.

Comment la 2e Brigade canadienne était-elle arrivée à cette supériorité du moral qui lui permit de tenter l’opération avec chances de succès et fût la raison même de son succès ? Lorsqu’elle releva sur cette partie du front la 28e DI, l’ennemi avait de la liberté d’action et poussait parfois des incursions jusqu’aux tranchée"s britanniques. Tout d’abord une ligne de postes d’écoute fut établie en avant et à faible distance des tranchées ; puis les postes d’écoute poussés plus loin, et les éclaireurs d’abord, tous les hommes ensuite habitués progressivement à opérer de plus en plus près de la ligne ennemie. Les postes d’écoute allemands furent rejetés derrière leurs fils de fer, enfin obligés, même là, de disparaître sous peine pour les occupants d’être tués ou enlevés. l’obtention de ce résultat demandant trois mois. Au bout de ce temps, le terrain qui séparait les deux lignes appartenait aux Canadiens ; ils en connaissaient tous les détails ainsi que tous ceux des tranchées allemandes dont les occupants doivent demeurer terrés nuit et jour. Ils savent y circuler les yeux fermés pour ainsi dire, en tous cas munis de leur masque contre le gaz. Toute initiative leur appartient, et les Allemands n’osent riposter qu’à coups de canon.