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Les dessous de la Mère Henry

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mercredi 18 mai 2011, par JFW

Dernière mise à jour 29 décembre 2015 (croquis d’exploration des sous-sols grandement amélioré)

Sénones, aux confins de la Lorraine et de l’Alsace, se situe aux limites de 5 départements : les Vosges, la Meurthe et Moselle, la Moselle, le Haut Rhin et le Bas Rhin. Située dans la vallée du Rabodeau, la ville est dominée par les massifs vosgiens. L’un d’entre, au nord ouest, supporte deux grands rochers presque à son sommet. C’est la roche de la Mère Henry. Ce lieu pittoresque, si l’on en croît la multitude de cartes postales envoyées, fut un lieu prisé de promenades, et, déjà en ce temps, les rochers étaient liés par une passerelle, qui permettait aux visiteurs d’apprécier la vue.

Quand arrive le conflit, cette zone se trouva à proximité immédiate d’un front encore quelque peu mouvant. En effet, encore en mi-octobre 1914, des reconnaissances françaises sont envoyées pour savoir où sont exactement les Allemands, notamment s’ils encore à Sénones ou l’ont abandonnée.

La Mère Henry avant le conflit (le bloc au pied des rochers n’existe pas encore)

Analysons la période de stabilisation du front en cette région.

Les premiers affrontements sérieux sont survenus fin octobre 1914. Le 24 octobre au petit matin, les Français occupent le terrain qui s’étend entre la cote 675 et le carrefour des chemins venant du col de Dialtrépoix et de Moussey, à 150m au sud est de la jonction sentier rouge de Coichot et le sentier noir de la loge d’Anteux (carte du club alpin) et s’y retranchent, en profitant le plus possible des 4-sapins, après une attaque qui leur coûte 27 victimes.

copyright geoportail http://www.geoportail.fr
Carte moderne IGN indiquant les différentes zones (cote 675, cote 641) et la Roche de la Mère Henry (cote 673)

Le 25 octobre, à 10h15, la position conquise d’hier et le matin (cote 675), a été attaquée sérieusement, ainsi que les tranchées occupées à la cote 675. A la réception de cette nouvelle, deux sections tenant la cote 641 ont été envoyées dans la direction des 4-sapins et dans la vallée de Malfosse.

Le 26 octobre, les Français continuent d’organiser leurs positions à la cote 675 ; à la cote 641, la 22ème Cie continue sa progression vers 673 et à reçu l’ordre de s’efforcer de relier la cote 675 au moyen de tranchées.

Le 28 octobre 1914, une escouade du Génie se rend à 675 où elle est employée à l’organisation de cette position avec 50 travailleurs d’infanterie. Les travaux consistent en construction de tranchées couvertes, d’abris et de réseaux de fil de fer ; ils durent jusqu’au 1er novembre. La deuxième escouade se rend à la cote 641 et prend part aux travaux d’organisation de la position ; ils constituent en tranchées couvertes, abatis et réseaux de fils de fer. Ces deux escouades prennent part le 31 octobre 1914 au bond en avant effectué par les troupes de 675 et 641. Le 2 novembre, ces escouades sont réunies à 641 ; elles continuent les travaux d’organisation jusqu’au 8 novembre date à laquelle le Génie entreprend des travaux de sapes dirigés contre la tranchée allemande située sur la crête de 641-673.

Gros plan du canevas sur notre zone de prédilection

Le 16 novembre 1914, la tête de sape est arrivée à 40 mètres environ du réseau de fil de fer allemand protégeant l’ouvrage de crête. Dans ces conditions, ordre est donné de faire une attaque brusquée sur la tranchée de crête et le blockhaus allemand.

Pour ce faire, un abri blindé pour canon de 65 de montagne est installé à 150m environ de l’ouvrage ennemi.

Le 18 novembre 1914, tous les préparatifs d’attaque sont terminés ; l’attaque a lieu le 19 novembre à midi. Le Génie est réparti : 1° attaque principale sur le blockhaus : une 1/2 section du génie est chargé d’effectuer la brèche dans le réseau ennemi en partant de la tête de sape, 2° attaque de gauche : une 1/2 section est chargée de faire sauter le réseau allemand avec des tringles de mélinite, 3° attaque de droite : une troisième 1/2 section doit marcher avec l’attaque de droite.

La colonne de gauche ne peut arriver jusqu’aux réseaux ; le détachement de sapeurs portant les tringles de pétards essaye à deux reprises de se porter en avant ; il est à chaque fois arrêté.

La colonne de droite est arrêtée dans les mêmes conditions. Quelques fils de fer qui avaient été placés dans le bois par les Allemands ont pu être coupés, mais ils ne peuvent arriver jusqu’au véritable réseau.

Au centre, le détachement des tringles de pétards partant de la tête de sape arrive jusqu’au réseau ; les tringles sont glissées sous les fils de fer. L’explosion se produit ouvrant une brèche de 5 à 6 mètres de large et 12 mètres de profondeur. On avait employé deux tringles de 5 mètres chacune ; la deuxième s’emmanchait dans la première ; la charge élémentaire avait été portée à 4 pétards en raison de la grosseur et de l’enchevêtrement du fil de fer allemand. Aussitôt après l’explosion, la section d’attaque à laquelle se trouvait une équipe de sapeurs munis de cisailles se précipite dans la brèche. Reçue par un feu d’infanterie et de mitrailleurs, la section est arrêtée. Néanmoins, un détachement réussit à se maintenir contre les réseaux sur la droite de la tête de sape et s’y organise immédiatement. En outre, le blockhaus allemand a été évacué à la suite du tir de 65. A la faveur de la nuit, le Génie réussit à pousser derrière lui 3 sentinelles qui ont pour mission de s’opposer à la reprise de l’ouvrage par les Allemands.

La situation de ces soldats derrière le blockhaus et dans l’amorce de tranchée derrière les réseaux allemands est très précaire.

Dans ces conditions, le 20 novembre 1914, une sape volante en sacs à terre à double parapet est commencée. L’infanterie fournit de nombreux auxiliaires. Nuit et jour, l’exécution de ce travail se poursuit sous les balles ennemies ; chaque sac à terre placé est l’objet d’une fusillade. Néanmoins, les sapeurs mineurs réussissent d’abord à établir la communication avec l’élément d’infanterie de droite. On arrive ainsi à 30 mètres du blockhaus allemand. La sape volante est continuée avec mission d’arriver à ce dernier ouvrage ; elle est couverte avec des rondins pour résister aux projectiles. On continue ainsi à progresser de 15 mètres. On procède alors à l’organisation d’une redoute en sacs à terre.

Monument érigé par le lieutenant colonel Dauphin, commandant le 363e RI, à l’emplacement provisoire d’un cimetière français (sculpteur A. Sartorio)

Malgré l’ardeur apportée, en raison des nombreuses difficultés et du danger les travaux avancent lentement. Les Allemands, voyant cette marche sur le blockhaus, veulent le reprendre à leur tour. Le 9 décembre, on constate que les Allemands paraissent se diriger sur lui également par la sape. Leur situation plus avantageuse, leur permet de pousser rapidement les travaux, les tireurs français en effet ne peuvent les gêner par leurs tirs. Dans ces conditions pour ne pas voir les Allemands s’installer à nouveau dans cet ouvrage, il ne reste plus qu’à le faire sauter à la mélinite, opération très délicate. L’opération aura lieu le 10 à 6h du matin et on profitera de l’explosion pour lancer encore une section d’attaque française avec pour mission de s’emparer de la tranchée allemande qui était un peu en arrière.

La face de ce dernier a 4 mètres de longueur sur 2 mètres de hauteur et l’épaisseur approximative est évaluée à 1 mètre environ. Construit en pierres sèches assez grosses reposant directement sur une assise rocheuse, la partie supérieure est munie de forts rondis jointifs. Les extrémités du mur sont soutenues par plusieurs arbres.

La mise en place de la charge est une opération délicate car une sentinelle ennemie est en surveillance à 10 mètres environ en arrière du blockhaus. La charge employée est une charge allongée de 4 mètres (avec charge élémentaire de 8 pétards). A chaque angle est en outre disposée une charge concentrée de 10kg, soit pour l’ensemble une charge de 50kg de mélinite environ. La mise en place du dispositif de rupture est terminée à minuit.

Croix rappelant le décès de Felix Pupi (à remarquer, soit la faute d’orthographe faite par le graveur "Puppi", soit celle des militaires tant dans le JMO de son régiment que dans sa fiche de décès "A la mort de notre fils Felix Puppi, caporal au 363e de ligne et à celle de ses camarades, tombé pour la France à l’assaut de ce blockhaus à l’âge de 22 ans"

Le 10 décembre 1914, un nouvel Ordre est reçu à 5h45, demandant de faire une deuxième brèche dans le réseau près du blockhaus pour permettre à la section d’attaque de déboucher en deux colonnes. Les deux explosions brèche et blockhaus, seront effectuées en même temps. Cet ordre étant trop tardif, les deux explosions n’ont pu être combinées

fiche de décès de Felix Pupi http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/
A 6 heures du matin, l’explosion a lieu, elle est parfaitement réussie. Le blockhaus est entièrement balayé. La préparation de la brèche dans le réseau se fait également sans incident avec une tringle de pétards de 10 mètres de longueur. Mais cette deuxième explosion rate à cause à la mauvaise confection d’une torsade espagnole. La section d’attaque ne peut donc déboucher.

Du 10 au 15 décembre, la section du génie continue d’organiser la sape en sacs à terre qui conduisait à l’ancien blockhaus ; en particulier, on augmente de beaucoup la couverture. Les travaux furent sérieusement gênés par le tir de l’artillerie allemande , les bombes et les minenwerfer. Le 15 décembre, le détachement rentre à Saint Dié.

De nos jours, il ne reste plus trace de ce blockhaus. Par contre, plusieurs ouvrages allemands demeurent intacts (ou non) sur la ligne de crête.

L’un d’entre eux, le plus vaste qui défendait à la fois la ligne de crête et la pente est, révèle un bel exemple du patrimoine souterrain.

Une des entrées originelles se situe dans le bloc lui-même, par un puits de 1m50 de profondeur environ. Actuellement, une deuxième entrée s’est ouverte dans le couloir maçonné à fleur de sol.

Entrons par le puits du bloc. Nous suivons alors un couloir étroit maçonné à fleur de sol, sur environ 14 mètres.

A mi chemin, la voute est crevée, laissant passage à une nouvelle entrée. Puis un virage à angle droit et une descente abrupte dans la roche brute prolonge cette galerie, sur environ 30 mètres.

l’un de ces puits remontant à la surface dans des casemates.

Là, 2 puits carrés s’ouvrent de part et d’autre du couloir, remontant à la surface ; peu de temps après, s’ouvre un carrefour ; si l’on poursuit la visite sur la gauche, deux nouveaux puits s’ouvrent de part et d’autre, puis, après un méandre, la galerie remonte à la surface par une chatière. Par contre, si l’on continue tout droit, un puits remonte à la surface sur la droite, puis la galerie remonte et s’ouvre dans une galerie bétonnée à la surface du sol. Des soldats ont laissé leur nom sur la roche à cet endroit.

La partie bétonnée est fort intéressante en elle-même : en effet, outre deux observatoires donnant sur la pente est, nous pouvons encore voir de nos jours de grosses et lourdes portes blindées en béton, encore en place avec leur gonds. (l’une d’entre elle gît au fond du puits du bloc, par où nous avons commencé la visite).

Les puits observés d’en bas donnent dans ces observatoires pour deux d’entre eux, et dans d’autres salles situées plus haut pour les autres.

Un peu plus loin au nord, une autre galerie d’une vingtaine de mètres peut encore être parcourue si l’on compte ses diverticules ; elle s’ouvre dans une vaste dépression qui devait être une salle souterraine communiquant avec le reste des galeries : en effet, la galerie visitée précédemment remontant en chatière à la surface donne également dans cette dépression.

C’était donc un complexe de galeries, de puits et de salles mesurant près d’une centaine de mètres -fait rare dans le grès des Vosges, fort difficile à creuser- qui fut creusée par les Allemands, ce qui constitue à ma connaissance aujourd’hui le cinquième réseau le plus important creusé dans la région (les quatre autres étant les galeries de la Chapelotte, la galerie du Linge -inaccessible de nos jours-, la grande galerie de la Tête des Faux et les galeries de la roche de @@@)

plan du sous sol
plan de surface

Comment ne pas terminer cette description par quelques photos, peut être quelque peu hors sujet, mais néanmoins fort intéressantes, car elles révèlent quelques graphes allemands situés à 750 mètres d’altitude en faisant peut être les plus hauts du front occidental, et certainement les plus originales à cette altitude car se situant le long d’une ancienne voie romaine, fort bien conservée. Je vous laisse découvrir les inscriptions et cette voie romaine par vous même.