SOUTERRAINS & VESTIGES

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La carrière Vedelle

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vendredi 16 mars 2007, par Eric L., JFW

Dès l’automne 1914, le front est stabilisé dans le secteur compris entre Tracy-le-Val et Quennevrières. Il ne bougera pratiquement pas durant 3 ans. Dans le bois Saint-Mard, la ligne de front est établie juste au sud de la route qui relie Tracy-le-val à la ferme de Puiseleine. Dans ce bois, une ancienne carrière de calcaire grossier va être le témoin de remarquables travaux de creusement de la part des allemands.

Plantons le décor :

Dans ce secteur, pas moins de 3000 soldats de la 37ème division d’infanterie font face à la aux fantassins de la 17ème division d’infanterie allemande. Dès la fin 1914, les français ont connaissance de l’existence d’une carrière dont l’entrée s’ouvre au niveau des premières lignes allemandes. Ils feront même venir sur place un ancien carrier de Tracy afin d’essayer d’obtenir des informations sur les souterrains du secteur car il n’en existe bien entendu pas de plan précis.

En revanche, les emplacements approximatifs de la carrière Vedelle et sa voisine Cormont (également appelée carrière Martial) figurent sur les plans du service des mines.

A proximité de la carrière Vedelle, les bataillons Delom et Schwartz sont appuyés par les troupes du génie (compagnies 19/1 et 19/14) pour les travaux d’organisation des lignes.

Les travaux souterrains ont commencé !

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Une entrée bien cachée...

Fin octobre 1914, les troupes du génie sont sur le terrain et perçoivent des bruits "souterrains" ... L’origine et la localisation ne sont pas définies.
Durant tout l’automne, les bruits de creusement continuent à être entendus dans le secteur Delom. Diverses hypothèses sont échafaudées, tenant compte de la nature calcaire du terrain, des failles dans les roches, ceci afin d’essayer de localiser les bruits qui sont mêmes parfois attribués aux travaux des propres troupes françaises ! Une première note sur les travaux souterrains sera émise par le capitaine de la compagnie 19/1 ... mais celle-ci sera ignorée du commandement du génie.

Il faudra attendre les premiers jours de l’année 1915 avant que l’état major admette que les troupes allemandes sont en train de réaliser des travaux souterrains au niveau de la carrière Vedelle.
Toutefois, la conduite d’un travail de mine n’est pas complètement admise. Sont privilégiés les hypothèses d’un creusement de puits d’aérage pour la carrière ou de galeries permettant aux allemands de rejoindre les tranchées situées plus en arrière (ce qui est vrai également).

Le 26 janvier 1915 ...

En réalité les allemands sont en train d’effectuer un des premiers travaux de mine de la première guerre à partir des galeries de l’ancienne carrière de calcaire. Celle-ci est de dimension fort modeste et devait uniquement servir à une exploitation locale de la pierre à bâtir. Certes, la carrière en elle même ne totalise pas plus de 150 mètres de galerie, avec quelques quartiers s’ouvrant de part et d’autre d’une galerie principale large de 2,5 par 2 de haut mètres environ, mais quelle aubaine pour les allemands : Ils ont à disposition, avec une entrée de plein-pied au niveau de leurs première ligne, un souterrain à environ 7 mètres sous la surface du sol, partant en direction des lignes françaises. Ils n’auront qu’une vingtaine de mètres à creuser pour y parvenir. De plus, le banc de calcaire est particulièrement tendre ; il sera aisé, même au pic d’y parvenir.

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Accès à la chambre d’écoute (galerie sud-est)

C’est ainsi que le 26 janvier 1915, après avoir bourré d’explosif deux chambres souterraines situées aux extrémités des deux galeries de mines de 22 et 26 mètres respectivement démarrant dans la partie la plus au sud de la carrière(donc la plus proche des lignes françaises) les pionniers allemands feront sauter les deux premières mines du secteur. Le bilan est lourd parmi les troupes française : 26 morts et 22 blessés. Cependant, tout en dégageant les blessés, l’infanterie française occupe les entonnoirs de mine et organise les défenses. Au final, le bénéfice tactique ce ces explosions est nul ; mais l’impact psychologique est majeur.

Ce réveil brutal des esprits permettra de comprendre que la guerre des mines à débuté dans ce secteur, même si elle n’atteindra jamais le niveau de ce qui s’est passé à Berry-au-Bac, ou à la butte de Vauquois.

Suite à l’explosion du 26 janvier 1915, un rapport sera écrit par le commandement de la 37ème division d’infanterie. La teneur de celui-ci est sans appel quant au manque de clairvoyance du commandement local des troupes du génie.

Quoi qu’il en soit, plusieurs mesures furent prises afin de limiter le nombre de victimes potentielles en cas d’une nouvelle de nouvelles explosion : repli en seconde ligne du gros des troupes ; seuls quelques guetteurs restant en avant.
Les troupes françaises décidèrent également de prendre l’avantage en matière de mines, en réalisant plusieurs puits d’écoute, de nombreuses galeries de mines (dont certaines sont encore accessibles). La défense au attaques souterraines s’organisa par le biais de camouflets visant à détruire les ouvrages de mine allemands.

De leur coté les Allemands continueront leurs travaux à l’intérieur de la carrière Vedelle, sans toutefois y faire exploser de nouvelles mines.

La carrière aujourd’hui

Plus de 90 ans se sont écoulés ; que peut-on voir aujourd’hui ? Le bois Saint-Mard est encore riche en vestiges : observatoires, sape, abris de troupe, carrières souterraines ...

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En noir : les galeries de la carrière.
En rouge : les travaux allemands.

La carrière Vedelle, quant à elle, est toujours accessible. L’entrée principale tapie dans les bois et de dimension modeste est en partie obstruée. Il faut avoir été renseigné, ou avoir de la chance pour la trouver ... Une fois dedans, pas de risque de ce perdre ; tout au plus 200 mètres de galeries pour la carrière en elle même. Elle ne présente que très peu d’intérêt.

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La galerie principale de la carrière. Au fond, l’entrée.

En revanche, les travaux de sur-creusage allemand, sont ici très intéressant :

— Tout d’abord une mine avec une chambre d’écoute dans la première galerie de droite de la carrière.

— Ensuite, l’ouvrage majeur de cet endroit : une remarquable galerie filant nord-est permettant, en toute discrétion de gagner la carrière depuis les lignes arrières. Cette galerie de plus de 100 mètres de longueur comporte une chicane permettant de contrôler la progression d’un éventuel ennemi (à cet endroit, elle fait moins d’un mètre de large). Coté carrière, la galerie est flanquée de 2 petites pièces (environ 2x2 mètres) reliées entre elles. Outre la sortie à l’autre bout qui abouti dans une ancienne carrière à ciel ouvert, 3 accès vers l’extérieur avaient été creusés par les troupes pionniers. Certaines sont encore praticables et permettent après quelques acrobaties de sortir dans la forêt.

— Un peu plus loin à l’intersection en Y d’une branche avec la galerie principale on trouve un bel aménagement de sortie qui permettait de sortir en première ligne. Prudemment, les allemands ont bétonné l’accès afin de pouvoir y fixer une porte blindée, parant ainsi une éventuelle attaque des français, dont les lignes de sont distantes à cet endroit, que de quelques dizaines de mètres ... A droite de cet accès se trouve une petite niche dont on peut supposer qu’elle abritait des armes ou des lampes.

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Accès renforcé vers les premières lignes allemandes

— Enfin, du fond de la galerie principale partent 3 fourreaux de mine dont les deux ayant explosé en janvier 1915 et la dernière qui descend vers une petite chambre d’écoute.

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Dans la galerie sud-est
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Petite gravure des pionniers allemands dans la galerie sud-est

Voila pour la visite de la carrière Vedelle, qui si elle n’avait pas fait l’objet de remarquables travaux par les allemands aurait été un "Trou à Rats" de plus à mettre à notre catalogue de carrières !

Quelques photos de JFW :






Pour une étude complète sur la guerre des mines dans ce secteur, voir le livre de J-J Gorlet :La guerre de mines dans l’Oise. Socièté Archéologique Historique et Scientifique de Noyon, 2005.