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Sur des sommets plus oubliés

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jeudi 15 novembre 2007, par JFW

Le sudelkopf fait partie de ces champs de batailles oubliés de la grande guerre, malgré des affrontements importants en 1915. Ce secteur fut d’importance stratégique pour les Allemands qui ont grandement fortifié la zone.

Une précédente visite effectuée mi 2005, a révélé le potentiel de ce sommet fort méconnu. Malheureusement, un disque dur au comportement irascible avait détruit toutes les photos. Il donc fallu attendre quelque temps que mon périple me fasse revenir sur cette zone.

Cette première étude nous mène dans la partie ouest du mont, partie la plus proche des Français. Nous allons commencer la visite par le vestige souterrain situé le plus occidental de cette zone. Une simple entrée bétonnée banale que l’on rencontre dans nombre d’abris en U banals, nous emmène dans les entrailles de la montagne.

Etude du complexe souterrain

Pénétrons par l’entrée la plus à l’ouest. Elle se présente sous la forme d’une belle entrée bétonnée avec une chicane au bout de deux mètres et une meurtrière, étudiée pour tirer sur l’ennemi s’il venait à investir la place. Aucune inscription n’est visible sur le fronton de l’entrée.

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Entrée occidentale ; l’observatoire se devine à droite de l’entrée

Sur la droite en venant de l’entrée se trouve une petite coupole observatoire, regardant vers le sud, démontrant ainsi son origine allemande.

Nous descendons alors une dizaine de marches avant d’arriver à la chicane. L’escalier tourne brutalement à angle droit sur la droite, puis après un mètre cinquante, à gauche pour reprendre son azimut initial.

Au niveau du deuxième virage se trouve un puits bétonné rectangulaire ascendant donnant accès à l’observatoire. Il ne dispose pas d’échelon ; peut-être était-il muni d’une échelle de bois ?

Continuons notre descente ; six marches plus bas débute sur la gauche l’escalier menant à la meurtrière.

Encore trois marches plus bas, une niche bétonnée est creusée sur la gauche ; cette niche marque la fin du béton et de l’escalier.

La continuation est une pente descendant à trente degrés dans la roche brute et finissant par un ramping dix mètres plus bas.

On s’introduit alors sur une galerie perpendiculaire s’enfonçant dans les ténèbres à gauche et à droite.

Prenons le couloir de gauche, creusé sur quinze mètres dans la roche brute, avant d’arriver à une vaste salle bétonnée. La galerie court au nord est (60°) et la salle est orientée pareillement.

Cette salle était garnie de tôles au ciel, maintenant tombées pour la plupart et un beau menhir de béton se dresse en son milieu. A ce niveau, tout le ciel, pourtant de béton, est tombé. Sur la deuxième partie de la salle se trouvent encore des soubassements de bois attestant jadis existence d’un plancher.

A la fin de cette salle se trouve un pilier de béton tourné à quarante cinq degrés, avec une meurtrière. Contrairement aux apparences, cette meurtrière ne défend pas la salle mais un couloir qui en est la continuité. Cette galerie ne débouchait pas en 2005 et l’on pouvait croire à une galerie détruite par une explosion. Mais en 2007, une chatière fait jour. Il s’agit donc bien d’une sortie ; elle donne jour dans le flanc de la montagne, coté nord.

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Entrée nouvellement dégagée, vue à travers la meurtrière

Si elle est à ce jour partiellement dégagée, il n’est pourtant pas encore possible d’y pénétrer.

Mais reprenons notre visite. En sortant de la première salle et tombant sur le pilier, le visiteur peut obliquer à angle droit sur la droite pour arriver sur une seconde salle identique à la première, garnie de tôles métro. Cette deuxième salle est orientée au sud est (120°).

A mi-longueur de cette deuxième salle, se trouve une troisième salle, parallèle à la première. Elle est plus étroite que les deux précédentes.

Autant les deux premières sont/étaient garnies de tôles métro, autant celle là n’avait que de la tôle -recourbée- au ciel. La moitié est tombée, tandis que l’autre moitié menace de le faire.

Au fond de la deuxième salle se trouve une galerie, encore pratiquable en rampant. Cette galerie n’a pas été visitée (simple oubli !), mais ne doit pas mener à une sortie.

A la fin de cette deuxième salle, se trouve perpendiculairement une quatrième salle, donc parallèle à la première et à la deuxième.

Aussi large que la première et que la deuxième, elle en diffère par le fait que, comme la troisième, elle n’avait de la tôle qu’au ciel, tombée pour la grande majorité, ou menaçant de tomber.

Cette salle est bétonnée aussi sur les cotés, comme la troisième (contrairement à la première et à la deuxième qui étaient recouvertes de tôle métro jusqu’au sol.

A noter que les salles 3 et 4 sont reliées par une galerie au fond.

Une galerie creusée dans la roche brute et orientée à deux cent vingt degrés (SO), fait suite à la salle 4. Galerie, qui, au bout de quelques mètres, bifurque en deux. La première, orientée plein sud, mène à un escalier qui remonte à la surface. Il est entièrement bétonné.

Là encore, le visiteur peut observer en remontant, un escalier sur la droite passant au dessus de l’escalier emprunté, menant à une petite salle où se trouve la meurtrière défendant l’entrée. La même chicane existe que pour notre entrée, mais il manque l’observatoire bétonné. Par contre, dans cette petite pièce se trouve un petit puits carré remontant à la surface ; il s’agit d’un périscope dont on retrouve le trappon de protection en métal à la surface. Un mécanisme avec contrepoids permettait d’ouvrir ou de fermer le trappon de l’intérieur.

Au bas de cet escalier se trouvent quatre obus.

La seconde galerie, elle aussi taillée dans la roche brute, est orientée à deux cent quatre vingt dix degrés (NO) et monte légèrement. Elle débouche dans une petite salle de trois mètres sur trois, avant de continuer presque plein nord, à trois cent cinquante degrés.

On arrive alors à nouveau à l’entrée utilisée.

Maintenant que le tour est fait, nous allons visiter, une dernière galerie fort intéressante. Elle débute au milieu de la toute première galerie empruntée. Elle prend naissance sur la gauche (dans le sens de notre visite), taillée dans la roche brute, et monte légèrement. Elle est orientée à trois cent trente degrés (NNO).

Après quelques mètres se trouve sur la droite un couloir bétonné de trois mètres de long se termine sur de la roche brute et un effondrement. Le béton consolidait une zone fragile, trop fragile.

Un couloir, orienté ouest sud ouest, fait suite à la galerie. Des salles sont creusées latéralement en quinconce : trois à droite et trois à gauche. Des restes de plancher sont encore visibles. Ces niches servaient vraisemblablement à stocker des munitions, étant situées bien à l’écart des salles de vie. Quelques couvercles circulaires en bois parsèment cette dernière zone.

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Croquis d’exploration - Une version plus détaillée avec échelle est en cours d’élaboration

Le 11 février, le 24e bataillon de chasseurs se rassemble prêt à l’attaque sur les pentes sud-ouest du Sudelkopf. Après un bombardement de l’ouvrage central, exécuté avec du 220e et un tir d’efficacité des batteries de montagne, le bataillon s’élance à l’attaque à 14 heures, avec un élan et un enthousiasme remarquables. A 14h45, la 4e compagnie se rendait maitre de l’ouvrage central. Son commandant, le capitaine NICOLLE, fut tué au moment où il donnait ses ordres pour l’occupation de la position. Dans cette brillante affaire, le bataillon s’emparait de 2 mitrailleuses, de minenwerfers et de 16 prisonniers. Le lendemain, la 1ère compagnie était lancée à l’attaque de la cote 937, au nord-est du Sudel proprement dit, et s’emparait de la position sans coup férir. Malgré un violent bombardement, un froid très vif et la tempête de neige presque continuelle, le 24e demeure sur ses emplacements

Extrait du JMO du 24e BCAP

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Mécanisme du périscope, 4 photos ci-dessus

Etude de la zone en surface

L’analyse de la zone en surface est très importante car elle pourrait nous en apprendre davantage sur l’état de cet ouvrage.

Le complexe se trouve sur le Sudel 2. En arrivant par l’ouest, le visiteur est frappé par les entonnoirs qui ont creusé le terrain. Si l’on peut avoir des doutes sur deux d’entre eux, le troisième est clairement dû à une explosion souterraine.

Le premier entonnoir, le plus à l’ouest, mesure dix mètres sur dix mètres pour une profondeur approximative de trois mètres. A quinze mètres plus au nord est, se trouve une entrée bétonnée effondrée. Il semblerait que cette entrée menait à un abri qui a explosé.

A quarante mètres à l’est de ce premier entonnoir, se trouve l’entrée utilisée pour visiter notre complexe.

A quinze mètres au nord est de notre entrée se trouve entonnoir au fond duquel se trouve une large dalle de béton, sous laquelle se trouve une salle de trois mètres de large sur deux mètres de profondeur. Un couloir y fait suite orienté au nord est, effondré un bout de un mètre. On le retrouve à l’extérieur menant à une tranchée sur le bord du plateau. Difficile de dire si l’ouvrage a été construit au fond d’un entonnoir existant ou s’il y a eu destruction, mais la seconde hypothèse semble plus plausible. Difficile en effet d’imaginer un abri aussi petit et si mal conçu.

Toujours en partant de notre entrée, si l’on parcourt vingt quatre mètres vers le sud est (140°), nous arrivons à la deuxième entrée bétonnée où se trouve le périscope. Aucune inscription ne décore cette entrée.

Pour voir une inscription, il faut partir de cette entrée, parcourir quarante mètres plein nord jusqu’au delà le rebord du plateau ; l’inscription, malheureusement fortement abimée par le temps, laisse apparaitre un "L", un "21 P.K." ou un "24 P.K." (24e Pionnier Kompagnie)

Le 15 février 1915, le 6ème bataillon de chasseurs, par une marche de nuit, se porte sur Colbach et le Sudelkopf, où il relève le 24ème bataillon de chasseurs (la position du Sudelkopf comprend, de l’ouest à l’est, les pitons appelés Sudel n° 1, n° 2, n° 3)

Le 16 février, les 1ère et 6ème compagnies occupent les pentes sud du Sudel n° 2, les 3ème et 4ème compagnies tiennent les positions de soutien.

Le 17 février, le bataillon reçoit l’ordre d’attaquer le Sudel n° 3, dénommé le Doigt, position dominante et boisée, en même temps que fortement organisée, dont les pentes couvertes de neige sont garnies de nombreux fils de fer.

Notre position de départ est sur le Sudel n° 2, nouvellement conquis par le 24ème B.C.A. ; entre les deux crêtes se trouve un col, prolongé vers le nord par le ravin de Diefenbach. A 13 h 30, les 4ème et 3ème compagnies, commandées par les lieutenants Banzet et Macaire, quittent la ligne de soutien, dépassent la première ligne, traversent le col, franchissent un réseau intact et montent à l’assaut du piton.

Les chasseurs gravissent la pente très raide, jonchée d’abatis et de fils de fer et font irruption dans la tranchée allemande, dont les occupants, malgré leur défense acharnée, sont pour la plupart tués à coups de baïonnette.

Le temps d’explorer les abris et ils repartent en avant, descendent la pente est du Doigt, en direction de Rimbach ; quelques-uns même poussent jusqu’aux premières maisons.

La soudaineté de l’attaque a surpris les unités ennemies de soutien, qui n’ont pu intervenir, et nous empêcher de progresser au-delà de la crête ; elles ont cependant exécuté une contre-attaque en revenant par le boyau, de manière à prendre à revers la 3ème compagnie, qui avançait face à l’est. Mais cette compagnie ne se laissa pas surprendre ; tout d’abord elle contint l’ennemi et finalement parvint à le chasser des positions qu’il tentait de réoccuper. Elle s’établit ensuite au changement de pente qui se trouve à l’est de la ferme Sudel.

De son côté, la 4ème compagnie, en arrivant au piton, fait un à-droite complet, bouscule l’ennemi qui remontait et se porte face au sud, à environ 600 mètres ; elle revient finalement à s’établir à 300 mètres au sud du piton, face au sud-est, en liaison à droite avec la 18ème compagnie du 334ème R.I., qui n’a pas réussi à progresser.

La 2ème compagnie reste en réserve sur les positions de départ. La 6ème, en liaison avec la 3ème aux abords de la ferme Sudel, occupe l’éperon 937. La 5ème, en liaison avec la 6ème d’une part et le 215èmeR.I. d’autre part, barre le col de Furstacker face au nord (à l’ouest et au nord du Sudel n° 1). Les sections de mitrailleuses se trouvent : l’une au sommet du Doigt, face au sud-est, et l’autre à Hutter, barrant le col du Furstacker.

A 14 h 30, la position est totalement conquise.

Aussitôt la position conquise, les travaux d’organisation commencent et sont poussés activement.

Le Sudel n° 3, si l’on en juge par la force des ouvrages, l’accumulation des matériaux, le nombre et l’organisation des abris, semble avoir constitué pour les Allemands le réduit de la défense de la région du Sudel.

Pendant les journées qui suivent, l’ennemi ne tente aucune action d’infanterie, mais son artillerie lourde et de campagne bombarde sans relâche la cote 937, le col du Furstacker et le collet entre les Sudel n° 2 et n° 3.

Jusqu’au 22, le bataillon organise le secteur ; durant toute cette période, la température a été extrêmement rigoureuse, la pluie et la neige tombèrent sans discontinuer.

Le 22 février, le 6ème B.C.A., relevé par le 24ème B.C.A., vient cantonner à Altenbach où il reste la journée du 23.

Extrait du JMO du 6e BCAP

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Le plus gros entonnoir subsistant sur le terrain

Nous allons finir la visite par l’indice le plus révélateur qui va nous expliquer ce qu’il s’est certainement passé ; en descendant de quarante mètres depuis l’entrée utilisée pour la visite, il est possible d’observer un bel entonnoir,qui nous rappelle l’Argonne ou Perthes. Cet entonnoir mesure une vingtaine de mètres sur quinze, pour une profondeur d’une dizaine de mètres.

Autour de cet entonnoir et particulièrement au nord et au nord est, de nombreux blocs de béton armé, dont un de plusieurs mètres cubes, jonchent le sol.

A quinze mètres de cet entonnoir, direction plein nord, se trouve l’entrée d’un bloc dont l’entrée est effondrée au bout d’un mètre à peine.

Une dernière entrée bétonnée termine le centre de résistance, à vingt mètres de l’entonnoir.

Un rapport de l’armée indique que l’ouvrage a été détruit par une mine. Voilà qui semble bien étrange ! Les zones de guerre de mines connus sont La Chapelotte, Ban de Sapt, la Cude et le Violu. Plus au sud, deux mines anecdotiques ont été tirées dans le Sundgau. Mais je ne connais aucun exemple, ni au Linge, ni à la Tete des Faux, ni à l’HWK. De plus, ce n’est pas le bloc le plus proche des lignes françaises qui a été touché. Une erreur de cible ? Soit, mais une erreur de cinquante mètres (distance entre notre entrée et le centre de l’entonnoir) commence à ne plus etre négligeable, n’est il pas ?

Alors, qu’a put il bien se passer ?

Une explosion accidentelle ? Une, oui, mais trois... Voilà qui ferait une sacrée équipe de bras cassés germaniques.

Un canevas de 1918 indique même qu’à cette époque, la zone est restée allemande. Cela exclut donc une action des nettoyeurs de tranchées.

Reste une explication : soit lors du déminage des zones de guerre, divers engins explosifs ont été entassés puis détruits (comme à Vauquois), soit les Allemands ont fait sauté la zone et l’un de leurs pétards à fait long feu, nous permettant de visiter une partie de ce très important complexe aujourd’hui.

Le Salzpach, le 11-08-2007