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Le cheptel de Moulin

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mercredi 13 août 2008, par Eric L.

Carrière Mouton, tunnel de l’agneau, des brebis, creute des hirondelles… Les dénominations françaises des souterrains sont pour une fois champêtres, même poétiques ; une véritable arche de Noé minérale ! Nous sommes loin des connotations ethnologiques de certains souterrains du secteur : cafres, boers, zoulous ou autres mohicans… Ici, les exemples ne manquent pas : ce secteur situé à la limite de l’Aisne et de l’Oise abrite une forte concentration de souterrains rivalisant sur ce point avec le Chemin des Dames.
Ce qui surprend dans cette zone, est la densité et le développement des tunnels forés durant la grande guerre. Il faut se rendre sur les pentes nord du plateau de Californie pour retrouver une telle concentration. Anciennes carrières, tunnels de guerre, rameau de mines, tout ceci est ici présent…

Malgré cette richesse anthropique, nous nous intéresserons uniquement aux nombreux tunnels forés par les allemands en 1915 et 1916 dans un ravin situé au niveau de la seconde ligne de front. Ces tunnels sont présentés ici d’une façon générale ; une étude détaillée est en préparation et sera disponible ultérieurement.

Les opérations de 1915

La ligne de front est stabilisée à l’automne 1914, les premières tranchées sont immédiatement creusées. Seules quelques actions de mine auront lieu jusqu’au printemps 1916 dans le bois Saint-Mard et du Quesnoy ainsi que du coté de Quennevières. A ce sujet, on se reportera à l’ouvrage très complet de J-J Gorlet [1].
En mai 1915, l’état-major prépare une offensive qui a comme objectif la réduction du saillant situé entre Moulin et la ferme de Quennevières. Cette offensive qui prendra le nom de « Bataille de Quennevières » est initialement prévue le 05 juin. Elle sera repoussée de 24 heures.

L’offensive débute par un tir de mine à 4h50, suivie d’une intense préparation d’artillerie. A 10h15, les poilus de la 61e division d’infanterie du Général Nivelle franchissent les parapets et enlèvent dans la foulée la route de Moulin puis rapidement le ravin du Martinet. Une seconde vague, constituée des Zouaves et de tirailleurs complète l’offensive en direction de la bascule de Quennevières. Environ 1 km² a été conquis au prix de lourdes pertes. Encore faut-il que les français puissent se maintenir sur ces positions...

Le soir du 08, après une solide préparation de l’artillerie, les allemands passent à leur tour à l’offensive. Suite à cet échec le général Nivelle prévoit de lancer une nouvelle attaque pour le16 juin. Aucun objectif assigné ne sera atteint.
Il faut bien se rendre à l’évidence, le terrain conquis le 06 a été perdu ; les français n’ayant pas su ou pu exploiter l’avantage de la percée faute de troupes de réserve. Cette attaque sera présentée comme une opération de diversion. Cette bataille, commandée par le général Nivelle préfigure l’hécatombe du Chemin des Dames qui aura lieu deux ans plus tard.
Cette bataille, commandée par le général Nivelle préfigure l’hécatombe du Chemin des Dames qui aura lieu deux ans plus tard.
Les personnes souhaitant aller plus loin dans les détails de cette opération consulteront l’ouvrage de Rémi Hubert La première de Nivelle. La Bataille de Quennevières, Juin 1915 [2]. Le point de vue de Jean Prévot apporte également de précieuses informations [3].

Un manque de clairvoyance français (un de plus !)

Si les français ont bien entrepris des travaux souterrains de mine, ils ont sous-estimés les travaux de mine allemands et surtout les casernements souterrains que ceux-ci ont entrepris de creuser dans le banc calcaire dès le début 1915. Des bruits de creusement avaient bien été entendus dans les postes d’écoute avancés, mais il fut impossible de localiser leur provenance.
Il semble que l’hypothèse de creusement de galeries profondes dans les bancs de pierre du coté de Quennevières fut bien envisagée, mais non retenue (Les bruis perçus sont considérés comme des aménagements d’abris). Une illustration supplémentaire de la clairvoyance de l’état-major français !

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Galerie principale et inscriptions franco-germaniques.

Et pourtant … les pionniers allemands ont entrepris le creusement de plusieurs abris et tunnels dans un ravin situé en seconde ligne. Situation idéale, car en contre-pente, donc protégé des obus de l’artillerie et en sous-bois donc dérobés aux yeux de l’aviation et des ballons d’observation. Cet emplacement idéal va leur permettre de creuser plus d’un kilomètre de galerie réparti sur plusieurs sites.

La datation des travaux est incertaine … Quelques hypothèses et constatations :

— il n’est à priori pas fait mention des tunnels par les français durant l’offensive de juin 1915. Cependant, l’offensive française ne s’est pas déroulée exactement au niveau des tunnels. De plus, très peu de soldats en sont revenus ...

— aucune mention des ouvertures des tunnels n’est retrouvée sur un plan directeur de 1916.
— une petite gravure (dont l’authenticité reste à confirmer) a été retrouvée dans le tunnel sud ; elle est datée de 1916.

— le percement des galeries dans le calcaire à l’aide des moyens « modernes » (explosifs, perforateur pneumatique et évacuation des déblais en wagonnets sur voie étroite) utilisés par les allemands pouvait atteindre 10 mètres par jour selon des documents du génie. Une moyenne de 6 à 7 mètres semble plus réaliste ... La grande galerie du tunnel de l’agneau mesure plus d’un demi kilomètre ; on peut donc estimer qu’il aura fallu plus de 2 mois de travaux pour la creuser.

Plusieurs de ces tunnels ont été topographiés en 1917 par les français après le repli des allemands sur la ligne Hindenburg (avril). Aucune référence allemande liée au nom des tunnels n’a été retrouvée ; en revanche, les français les ont baptisés de noms ovins comme mentionné au début de cet article.

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Le bout du tunnel ... les marques laissées par les tirs d’explosifs sont bien visibles.

Les tunnels-abris

Pour retrouver les entrées des tunnels il faut soit avoir été renseigné, soit avoir une solide base bibliographique [4] (les 2 cumulés n’étant pas du luxe !).
Sauf pour le tunnel sud qui présente un cavage tout à fait respectable, les autres entrées sont bien souvent partiellement détruites ou obstruées ; on ne les découvre qu’avec une prospection poussée sur le terrain.

Les tunnels prospectés sont de deux type : tunnel de liaison ou casernement.
Dans le premier cas, il s’agit de simples galeries sans chambrées, qui ne s’enfoncent pas en profondeurs et suivent les lignes de niveaux. Deux tunnels de ce type ont été prospectés ; le premier n’a pas été achevé (longueur totale environ 100 mètres). La prospection du second s’est achevée sur un fluage de boue ; le développement total est donc inconnu.
Les casernements et abris souterrains sont quant à eux bien plus imposants ; chacun comportant plusieurs centaines de mètres de galeries. En parcourant ces tunnels on reste surpris par la configuration différente de chacun des ouvrages : tantôt des galeries courbes évoquant les souterrains-refuges annulaires de Touraine, tantôt de longues galeries rectilignes desservant des salles.

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Une chambrée consolidée par les allemands.

C’est le cas du tunnel sud, une galerie principale de section ovoïde file plein est sur environ 550 mètres. De part et d’autres, plusieurs salles et amorces de sorties ont été creusées. La galerie qui aurait du rejoindre les premières lignes allemandes n’a pas été achevée. A l’extrémité sont encore visibles les marques résultantes des tirs d’explosifs ainsi que les restes d’une voie étroite. La galerie principale coupe perpendiculairement une galerie de liaison desservant une petite dizaine d’abris d’environ 15m carrés chacun. Ces salles sont toutes reliées à la surface par une sortie directe. Ce tunnel est probablement le plus intéressant, tant en développement qu’en témoignages laissés sur les parois. En effet, chacune des principales salles est nommé à la peinture noire … en français : munitions, observatoire, PC, téléphone etc. On y découvre même un double marquage franco-allemand : Kein Ausgang / Matériel . Cet endroit est également le mieux préservé des casernements visités : aucun tag et autres marques de peinture « récente » ne vient souiller les lieux.

Le tunnel médian est quant à lui constitué d’une galerie principale perpendiculaire à la pente. Les salles desservies par cette galerie sont reliées à la surface par d’abrupts escaliers, éboulés pour certains. On notera que seul ce tunnel a fait l’objet de consolidations bétonnées dans la galerie et aux débouchés des entrées.

Le tunnel nord reste à mon sens le plus mystérieux à mon sens, de part sa topographie : Pourquoi tant de courbes dans ces galeries, alors que ses voisins se bornent à de grandes lignes droites bien plus proches de la rigueur teutonne ? Il est également le seul à posséder un très bel ensemble défensif à proximité de l’ex-entrée nord (aujourd’hui comblée d’une coulée de terre ocre). Une chicane en moellons pourvue d’une fenêtre de tir est censée empêcher tout accès a un quelconque téméraire assaillant. (Les restes de dessins appartiennent au 48ème I.R. qui tenait le secteur d’avril à juillet 1916).

Ce coteau calcaire de Moulin-sous-touvent possède certainement encore bien d’autres souterrains à explorer, tunnels ou creutes. Les cartes françaises ne recensent pas moins de 8 cavités dans ce secteur. Il est à peu près certain que malgré nos prospections successives, nous n’avons pas encore rassemblé tout le troupeau !

Merci à Jean-Jacques Gorlet, spécialiste du secteur, qui a accepté de relire cet article et y a apporté de précieux commentaires.

Notes :

[1] Gorlet, Jean-Jacques : La guerre des mines dans l’Oise - 1914 1917 en secteur calme. Ed. Société historique et scientifique de Noyon, 2005.

[2] Rémi Hébert, La première de Nivelle. La Bataille de Quennevières, Juin 1915, Le Manuscrit, Paris, 2005.

[3] Jean Prévot, Carnet d’un ambulancier et pharmacien - De la bataille De Quennevières aux combats du Soissonnais 1915-1918. Editions des Equateurs, 2007.

[4] On consultera, entre autres, les cotes 19N1716, 24N1474 à 1476 au Service historique de la Défense de Vincennes.


  • Messages publiés : 2 (triés par date)
  •   1 -

    13 août 2008 14:57, par cliooise

    1. pouvez-vous joindre une carte française d’époque où ces noms ovis sont donnés ; je ne les connaissais pas et charchais justement à identifier ces creusements ? 2. quand vous évoquez les dessins au crayon du 48è IR ; est-ce bien ceux qui ont été dégardés "par des imbéciles" et dont l’un représente des Allemands dans leur tranchée ?
  •   2 -

    13 août 2008 15:17, par Eric L.

    Bonjour, Envoyez-moi un mail pour que nous puissions en discuter ; ce sera plus simple que via ce forum.

    Cordialement,

    Eric