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    Projet de gazage dans la creute de Froidmont

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    jeudi 31 mars 2022, par JFW

    Lors de l’attaque du Chemin des Dames qui débute le 16 avril 1917, les Français s’approchent de Braye en Laonnois et des deux carrières Denker et Tauentzien Höhlen. Ils possèdent depuis quelques mois des informations sur ces cavités surtout par les interrogatoires de prisonniers et de déserteurs, plus rarement par les habitants de la région. Nous n’allons pas analyser tous les événements liés à cette creute par manque de temps et de place ; mais, elle a connu ou elle a failli connaître (nous verrons à la fin de cet article ce qu’il en fut) un événement extraordinaire, que nous allons étudier ici.

    Nous sommes en mai 1917 ; la bataille du Chemin des Dames n’est pas encore terminée et la bataille de la Malmaison pas encore envisagée. L’armée française planifie encore des attaques locales pour rectifier le front, et bien entendu, l’armée allemande contre-attaque incessamment pour essayer de regagner chaque mètre de terrain perdu et de même pour les Français lorsque la perte de terrain est en leur défaveur. Sur le terrain, ces derniers sont à la limite des galeries de la creute de Froidmont, mais les Allemands tiennent les entrées sud et l’entrée nord.

    En ce mois de mai 1917 donc, les Français ont pour but dans la région de Braye-en-Laonnois, de, je cite « Chasser les Allemands du plateau de FROIDMONT jusqu’au tunnel du canal de l’Oise à l’Aisne, nettoyer les anciennes carrières souterraines (STORP HÖHLE, la TAUENTZIEN HÖHLE, la DENKER HÖHLE) s’établir sur un front marqué en vert [...] ». Le croquis ci-dessous mentionne, entre autre, le nouveau front souhaité tracé en vert.

    Pour ce faire, les Français doivent établir une base de départ pour l’attaque envisagée, formée de 2 parallèles orientées face au nord-est (marquées, elles, en bleu sur le croquis ci-dessous). Par suite de l’obligation de se protéger contre les tirs de mitrailleuses provenant des Wittenberg Höhlen, ces parallèles dans leur moitié nord tout au moins, doivent être fortement de biais. Le front envisagé est de 400m, avec un travail à réaliser de 1.200m de terrassement y compris les boyaux, ce qui doit occuper 2 bataillons de travailleurs pendant 3 nuits.

    En raison de l’élargissement considérable du front qui en résultera (1.200m au lieu de 500m actuellement), il est nécessaire d’employer 2 bataillons renforcés par une compagnie Schilt (1) pour le nettoyage des creutes (2).

    SHD

    Voici pour l’histoire en surface, Voyons maintenant les épisodes souterrains.

    Pour les aider dans leur attaque, les Français ont une idée. Lors de leur avance, ils ont englobé dans leurs lignes un puits d’aération. Et, ils en sont persuadés, ce puits d’aération rejoint la creute de Froidmont, plus précisément le tunnel creusé entre les deux Tauentzien Höhlen, nord et sud. Or ces creutes hébergent les réserves qui doivent contre-attaquer en cas d’assaut français.

    Voici ce que nous apprend le JMO (3) d’une unité Z (4) du génie : « 10 mai 1917 Le capitaine accompagné de M. le capitaine Franceschi, commandant le détachement du 31e bataillon, et de M. le lieutenant Chevallereau se rend dans la région de Soupir (Aisne) pour exécuter une reconnaissance (en vue d’une petite opération d’émission). »

    « Petite opération d’émission ». Le plan des Français consiste en fait, ni plus ni moins, à gazer les Allemands dans les creutes de Froidmont en utilisant le puits d’aération en leur possession.

    Un première reconnaissance a lieu dans la nuit du 10 au 11 mai. Le compte-rendu est résumé ci-dessous :

    Le puits de descente de la creute Froidmont se trouve à un des saillants de la ligne avancée et est tenu par une section de mitrailleuses du 106e régiment d’infanterie.

    Ce puits donne accès dans une galerie souterraine qui relie vraisemblablement les deux creutes de Froidmont. Ce puits comprend trois descentes, deux qui partent du niveau du sol et aboutissent à 8m environ au-dessous, à un palier long de 10m et large de 1m20 environ ; la troisième part de l’extrémité de ce palier et aboutit après avoir fait un coude sur la droite, à la galerie qui doit se trouver à une dizaine de mètres au-dessous du palier. La section de ces descentes est de 1m50x1m.

    « Le puits est en bon état. La section qui en a la garde s’est installée sur le palier. Deux sentinelles en permanence surveillent la descente conduisant à la galerie inférieure. Cette descente est de plus obstruée avec des réseaux Brun et des caisses. Lors de la reconnaissance, il a été constaté que l’ennemi surveille avec 2 sentinelles au moins l’autre extrémité. On a entendu causer, tousser et marcher. En outre, il existe au bas de la lumière en permanence et un courant d’air continu qui laissent croire que les boches n’ont pas fermé hermétiquement le bas de la descente et que celle-ci communique toujours avec la galerie reliant les deux creutes. »

    Malgré le courant d’air ascendant, le gaz qui sort avec pression des récipients doit pénétrer facilement par suite de sa pression et de son poids et se répandre dans la galerie inférieure en envahissant peu à peu les 2 creutes. « Une expérience faite aujourd’hui dans une grotte analogue, la grotte Gamet, a confirmé ces prévisions. »

    L’opération projetée est une émission d’une demi-heure de B.C. (5) faite du palier actuellement occupé par les mitrailleurs. Ce local serait bien entendu à évacuer par les occupants pendant l’émission.

    L’émission commencerait 5 minutes avant que l’infanterie aille prendre possession des débouchés. Elle jetterait le désarroi parmi les réserves qui se seraient abritées à l’intérieur en les intoxiquant si elles restent enfermées, en les contraignant à quitter les creutes précipitamment avec les masques sur la figure, peut-être sans armes et devenir la proie des Français qui à ce moment auraient pris position autour des entrées sur les côtés et un peu loin, pour éviter, eux, d’être intoxiqués.

    Pour cette opération, le besoin prévisionnel en personnel et en matériel est le suivant : Le Personnel de la compagnie Z nécessaire serait : 1 officier, 1 sous-officier, 2 caporaux, 2 agents de liaison, 40 sapeurs, 1 infirmier.

    Le matériel technique envisagé serait :

    • 18 bouteilles moyennes,
    • 3 tuyaux d’éjection avec 3 tubes d’émission,
    • Appareils de protection,
    • Médicaments.

    En outre 300 sacs à terre sont nécessaires pour boucher le haut de la descente afin d’empêcher les retours du gaz en cas d’obstruction du bas par l’ennemi et supprimer l’effet du courant d’air ascendant.

    Le personnel avec matériel doit arriver sur les lieux 3 jours avant l’opération de façon à pouvoir faire la reconnaissance l’avant-veille et le portage la veille. Il peut être cantonné dans la carrière de la Cour-Soupir et pris en subsistance durant l’opération par une unité située à proximité.

    La Cour-Soupir

    Cantonnement de Cour-Soupir

    Cantonnement de Cour-Soupir

    Le transport en première ligne doit se faire par les soins du génie. Le matériel doit être amené en camion jusqu’à la Croix-sans-Tête, puis transporté à dos d’homme jusqu’au puits par les boyaux des Hânovriens, de la Douille et la tranchée du Culot. Cinq heures sont nécessaires pour le transport à dos, à condition que les boyaux soient praticables et que la réaction de l’artillerie ne soit pas trop violente. Durant ce temps, les troupes du secteur auront le masque en position d’attente, prêt à être appliqué sur la figure en cas de crevaison de bouteille.

    En conclusion, dit le rapport, «  l’opération est possible en l’état actuel des choses et peut donner de très bons résultats si l’ennemi ne bouche pas le bas du puits. »

    Suite aux reconnaissances, le programme suivant est arrêté :

    Le portage des bouteilles de gaz doit se faire de nuit la veille de l’opération et à l’heure qui sera indiquée comme la plus favorable vers 2 ou 3 heures sans doute.

    En ce qui concerne l’installation des bouteilles de gaz, il faut : « 1° s’assurer avant tout que la descente n’a pas été obstruée au bas en constatant si la circulation d’air existe et si on entend toujours causer et marcher. 2° Eviter de choquer les bouteilles, les emballer dans des sacs à terre pour éviter tout son métallique. 3° Employer 3 tubes d’émission assez longs pour arriver près de la partie coudée de la descente. 4° Faire le mandrinage au cantonnement ou dans un abri à l’arrière, de façon à n’avoir qu’à le repasser dans le cas où il serait aplati au cours du transport dans les boyaux. 5° Faire le montage de jour en vérifiant soigneusement tous les raccords. 6° Obturer hermétiquement l’entrée avec des sacs à terre et de la terre humide, ne terminer cette obturation et ne faire dépasser les tubes que quelques minutes avant l’ouverture des bouteilles de façon à ne pas attirer l’attention des Allemands. 7° Ne faire aucune allusion dans la conversation, qui puisse donner l’alarme à l’ennemi. »

    En ce qui concerne l’exécution de l’émission : « 1° Ouvrir à l’heure indiquée 2 bouteilles d’un même tube. 2° Si ça va bien, en ouvrir deux autres d’un autre tube 1 minute après, puis 2 autres du troisième tube d’émission, si ça continue à bien marcher. 3° Si le gaz descend bien, ouvrir 5 minutes après 6 bouteilles, 2 par tube d’émission, puis le reste 15 minutes après. 4° Fermer toute les bouteilles et pulvériser dans le cas où le gaz refluerait en grande quantité sur le palier après l’ouverture. 5° Prévenir le commandant de la division dans le cas où l’émission de gaz ne se serait pas faite comme prévu. »

    Il faut également prévoir les appareils de protection suivant : un Tissot en bon état pour chaque opérateur, deux Fenzy pour parer à tout accident. Quatre Vermorel pleins de solution de Carbonate à 12%. Prévoir également des médicaments pour traiter les débuts d’intoxication.

    Le personnel de manoeuvre prévu est le suivant :

    • 1 officier,
    • 1 sous-officier,
    • 2 agents de liaison,
    • 2 manipulateurs,
    • 1 infirmier pour les soins à donner immédiatement. Le reste du personnel resterait au cantonnement pendant l’opération.

    L’évacuation du matériel vide sera faite la nuit qui suit l’opération, si la réaction de l’ennemi n’est pas très forte, la nuit d’après dans le cas contraire.

    Le commandement direct doit être assuré par le lieutenant Chevallereau, le capitaine de la Hamelinaye se tiendra auprès du commandant de l’infanterie de la division. Le lieutenant Chevallereau doit communiquer avec lui par agent de liaison. Le commandant du détachement sera avec le général de division, à moins d’ordres contraires. Le commandant de la compagnie du génie Z doit renseigner par téléphone.

    « Observation importante : Rappeler au commandant des troupes d’assaut de la division et au général que le gaz subsistera assez longtemps dans la creute et qu’avant de l’utiliser comme abri, il serait bon de la faire ventiler au moyen de 2 ventilateurs Farcot ou autres, par le génie de la division. »

    Voilà pour la théorie et le programme français.

    En ce qui concerne cette opération, le JMO mentionne laconiquement :

    « 17 mai 1917 Le capitaine Franceschi, accompagné du capitaine commandant et du lieutenant Chevallereau se rendnt dans la région de Soupir pour arrêter les détails de l’opération projetée.

    18 mai 1917 Un détachement commandé par le lt Chevallereau et composé de 1 sergent (Bellut), 2 caporaux et 4 sapeurs quitte Fontenoy à 13 heures en camions-autos, pour se rendre dans la région de Soupir, en vue de l’exécution de l’opération projetée. »

    Mais c’est sans compter sur les Allemands : un jeu de relèves dans cette zone retarde l’opération, tandis qu’une contre-attaque en vue de rectifier le front leur redonne ce puits d’aération, entre autre, le 18 mai. Voici ci-dessous le dernier rapport du général commandant le G.A.N (Groupe des Armées du Nord) pour qui l’affaire était d’importance :

    « Au Q.G., le 20 mai 1917

    LE GENERAL DE DIVISION FRANCHET d’ESPEREY Commandant le Groupe d’Armées du Nord

    au GENERAL COMMANDANT La VIe ARMEE

    Il m’est rendu compte que l’opération étudiée dans le rapport N°3.215, en date du 12 mai 1917, du capitaine FRANCESCHI, commandant le détachement du 31° Btn. du Génie - émission de gaz dans le puits de descente de la Creute Froidmont (point 9.924 du Plan Directeur) - n’a pu avoir lieu en raison des relèves qui ont été la conséquence du dernier changement de limite entre les zones des 6° et 20° C.A. Le retard ainsi apporté à une tentative dont la réussite pouvait avoir de très heureuses conséquences et dont l’exécution, possible dès le 14 ou le 15 mai, n’exigeait qu’un personnel et un matériel techniques fort réduits, constitue une faute. L’ennemi nous a fait payer cette faute en reprenant possession du point 9924. »

    Une partie du texte ci-dessous, incorporé au rapport, a été repris en manuscrit. Il était écrit initialement : « Je vous prie de rechercher si le Commandement local n’a pas fait preuve de négligence en cette affaire. Dans l’affirmative, vous voudrez bien prendre les sanctions nécessaires. »

    Puis, revenant sur sa décision, le général écrit : « Je vous prie de rechercher quel est le Commandement local qui a fait preuve de négligence en cette affaire ; vous voudrez bien prendre les sanctions nécessaires. »

    Cette affaire ou plus exactement cet échec est donc monté très haut.

    Voici la conclusion d’un épisode qui aurait pu être dramatique pour les troupes allemandes et changer (quelque peu uniquement, il va se soit) la bataille du Chemin des Dames du printemps 1917 et simplifier la bataille de la Malmaison qui aura lieu en octobre de la même année et qui verra les troupes françaises occuper toutes ces creutes, et les réaménager à leur avantage mais ceci est une autre histoire.

    Et, un peu moins laconique pour une fois, voici ce que nous apprend le JMO de l’unité Z qui devait faire cette émission de gaz :

    «  22 mai 1917 Le détachement du lieutenant Chevallereau rentre à Fontenoy, les circonstances ne permettant pas l’exécution de l’opération. Il s’agissait d’envoyer dans une carrière occupée par l’ennemi et dont nous tenions un puits d’aération, le contenu d’une douzaine de bouteilles Bertholite-Collongite (4) en vue d’asphyxier les réserves allemandes qui se tenaient dans cette carrière. D’après les documents trouvés sur le champ de bataille, il y avait 2.500 places à l’intérieur. L’ennemi s’étant emparé de l’orifice du puits, il fallait abandonner l’opération. »

    — -

    (1) Compagnie Schilt : unité du génie chargée de l’utilisation de lance-flammes, conçus par le capitaine Schilt. (2) Nettoyage des creutes : sous ce doux nom utilisé tout au long de la guerre cache une réalité assez horrible : les « nettoyeurs » (de creutes, d’abris, de tunnels ou de tranchées) sont des groupes de soldats suivant les vagues d’assaut pour faire prisonnier ou mettre hors de combat tous les soldats restés derrière l’assaut (cachés, blessés...) et susceptible de tirer dans le dos des troupes d’assaut.

    (3) JMO : Journal des Marches et des Opérations. Journal tenu quotidiennement par chaque unité depuis 1874 et contenant les faits objectifs (en théorie !) survenus chaque jour.

    (4) Compagnie Z : unité du génie spécialisée dans les émissions de gaz de combat.

    (5) (B.C.) Bertholite-Collongite : ce sont deux gaz de combat, parfois mélangés. Le gaz Berthilite est du chlore, tandis que le gaz Collongite est de l’oxychlorure de carbone ou phosgène.