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A la recherche des souterrains d’Albert - partie III les découvertes

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mardi 29 décembre 2015, par JFW

Après avoir vu la genèse de la recherche des souterrains d’Albert en deux campagnes : en 1914 puis en 1915, puis les investigations dans les archives :

* recherche de livres anciens relatant l’existence de ces souterrains,

* recherche des vieilles croyances et des "on dit",

* recherche de témoignages "des anciens".

Nous allons maintenant entrer dans la troisième phase de cette recherche des ouvrages subterranés, et probablement la plus intéressante, à savoir les recherches menées sur le terrain et les découvertes faites en cette occasion.

Comme dans les autres parties, les noms de rues existantes encore de nos jours ont été enlevés.

LES DECOUVERTES D’OCTOBRE 1914

Propriété Trancart, à Albert

Le 26 octobre 1914, le lieutenant responsable des recherches annonce que l’orifice d’un puits muré depuis de longues années a été découvert à 14 heures dans la propriété que madame Trancart habite au n°16 de la rue X à Albert. Si l’on en croit les témoignages fournis par quelques vieux habitants de la localité et les documents qu’il a pu trouver sur place, un souterrain d’une longueur de 2km environ, aurait bien existé autrefois entre le château d’Eucre (1) et le bois Lecomte qui se trouvait dans la campagne, vers la commune de la Boisselle (le château d’Eucre (1) aurait été édifié à l’emplacement même qu’occupe l’habitation de Mme Trancart. L’état d’avancement de ses travaux ne lui permet pas encore de dire si le puits communique réellement avec le souterrain dont l’existence est présumée et encore moins de dire dans quel état ce souterrain se trouve.

Selon le témoignage du lieutenant, indépendamment du souterrain du château d’Eucre (1), le sous-sol de la ville d’Albert est sillonné d’un certain nombre de galeries. Ce même jour, il en a visité trois : deux dans la propriété d’une dame Court, et une autre prenant jour dans une propriété sise en bordure de la route conduisant d’Albert à Amiens. "A vrai dire, ces trois galeries constituent de vraies grottes sans intérêt pour nous". Il est plus probable qu’il s’agisse d’anciennes carrières souterraines et non pas de "vraies grottes".

Le 27 octobre 1914, les investigations décrites ci-dessus se poursuivent et ont lieu principalement dans la propriété habitée par Mme Trancart au n°16 de la rue. Le croquis schématique ci-dessous donne, une idée sur la disposition d’ensemble de cette propriété.

Quatre sondages sont pratiqués. Un cinquième sondage est fait dans la rue même.

Le sondage n°1 se trouve dans une cave. Il consiste en une tranchée de 2 mètres de longueur sur 0m80 de largeur. A cette date, sa profondeur, mesurée à partir du sol de la cave est d’environ 2m50 ; il n’a donné aucun résultat.

Le sondage n°2 est pratiqué à l’intérieur d’une petite galerie en maçonnerie supportant un rocher artificiel établi dans le parc. Sa forme et ses dimensions sont sensiblement les mêmes que celles du sondage n°1. Lui non plus n’a donné aucun résultat.

Le sondage n°3 consiste à mettre à découvert, dans le parc, un vieux puits dont l’orifice était muré depuis longtemps (c’est celui décrit la veille). Contrairement à ce qui a été envisagé la veille, et cela en se fondant sur le témoignage d’une personne qui habite la propriété en question pendant plus de 21 ans, le vieux puits ne donne actuellement accès à aucune galerie souterraine. Les parois sont entièrement maçonnées. La profondeur d’eau est de 13 mètres, sa profondeur totale atteint 24 mètres. Il sert de puits de perte d’eau aux eaux sauvages de la propriété.

Le sondage n°4 consiste en une tranchée longue de 3m et large de 0m80, ouverte dans une allée du parc. Il est descendu à 3m50 au dessous du sol naturel ; Il n’a pas encore donné de résultats.

Le sondage n°5 (celui pratiqué dans la rue), est abandonné après l’avoir descendu à environ 2 mètres au dessous du niveau de la chaussée.

Indépendamment de ces cinq sondages, les recherches s’étendent également à la cave du bâtiment désigné sur le plan par la lettre A et faisant l’angle des rues (croquis ci-dessus, à droite). Sur les indications d’un habitant de la localité, il a été découvert que cette cave communique avec une galerie souterraine percée dans le tuf [sic !] à une vingtaine de mètres au-dessous du sol naturel. Cette galerie, dont le profil transversal est tout à fait irrégulier, tout en se rapprochant sensiblement de la forme représentée par le croquis ci-dessous, a une hauteur variant de 1m50 à 2 mètres et une largeur moyenne d’environ 2 mètres. De distance en distance, elle est obstruée partiellement par des "éboulis" d’origine relativement récentes.

En perçant trois de ces "éboulis", les Français ont pu explorer la galerie sur une longueur approximative de 60 mètres en passant successivement sous le bâtiment A, la chaussée de la rue et le bâtiment incendié qu’occupait la justice de paix sur l’autre côté de la rue.

Ces explorations ont été arrêtées par un mur pignon (de construction beaucoup moins ancienne que le souterrain) ayant plus d’un mètre d’épaisseur et constituée par une maçonnerie extrêmement résistante. Un trou de faible dimensions percé dans ce mur au prix de grands efforts laisse supposer que la galerie se poursuit au-delà. Il est fort possible que la galerie soit bien celle dont parlent certains habitants d’Albert et dont l’existence est mentionnée par les deux livres utilisés pour la recherche de ces galeries (Notre Dame de Brebières par Yves Ste marie et Histoire de la ville d’Albert par H. Daussy). Son exploration ne parait pas chose aisée et rapide. Il se peut que le souterrain soit encore praticable, mais pour s’en rendre compte, il faudrait continuer les travaux qui viennent d’être entrepris mais ces travaux seraient nécessairement très longs et fort laborieux. "et personnellement, nous ne pensons pas que les Allemands puissent en tirer grand profit au cours de la guerre actuelle, tout au moins en ce qui concerne la partie de galerie située sous Albert même, au-delà d’Albert en rase campagne et vers la Boisselle."

Les travaux continuent néanmoins toute la nuit, le lendemain, un nouveau compte-rendu envoyé par le lieutenant en donne la conclusion :

"J’ai l’honneur de rendre compte que les travaux poursuivis durant toute la nuit dernière n’ont abouti à aucune découverte intéressante. Contrairement à ce que j’espérais, l’ancienne porte murée rencontrée dans la galerie et dont mon compte rendu d’hier mentionnait l’existence ne marque pas le point de départ d’un autre tronçon de galerie. Sur la voussure axiale la date de 1621 est gravée. Cette porte constitua probablement l’un des accès du souterrain secondaire du château et non l’accès du souterrain que nous cherchons. Si d’ici ce soir je n’ai rien trouvé de nouveau, il faudra sans doute abandonner les fouilles."

Ce compte rendu marque la fin des recherches de 1914.

LES DECOUVERTES DE MARS ET AVRIL 1915

Découverte d’une carrière souterraine au 47 rue Mazagran, chez Mme Pointloup.

De la cave part, derrière une cloison en briques que les Français s’empressent de casser, un escalier dont toutes les marches sont démolies. Il y a un certain danger à y descendre car la voûte tient "par un miracle d’équilibre", les pied-droits étant inexistants par endroits. Cet ancien escalier conduit à une ancienne carrière de pierre blanche dont les dimensions sont de 15m de longueur, 4m de largeur et 4m de hauteur environ. Du milieu de cette pièce se trouve un puits d’extraction comblé. Il n’y a aucune galerie prenant origine dans cette carrière.

Recherches à Aveluy

Au Barbuichon, vallon proche de l’emplacement de l’ancienne abbaye de N.D. de Brebières, la première batterie du 55e régiment d’artillerie a mis à découvert une petite galerie de 0m80x0m80 et 5m de longueur, qui aboutit dans une cavité de 4m de longueur, 3m de large et 2m de haut environ. Après examen, il semble qu’il ne s’agisse que d’un vieux four à chaux.

Recherches 98bis rue de Bapaume

Sur les indication de M. Mecmé, ancien propriétaire de la fonderie sise à cette adresse, il est entrepris une fouille. Il est ainsi mis à découvert une cave à piédroit en brique, la voûte taillée dans le tuf. Il y a deux petites amorces de galeries 1m00 environ de large et 1m de profondeur. Mais ces galeries ne se prolongent pas.

Recherches 35 rue de B

Dans la cave du maréchal ferrant, une excavation cachée par de la tôle pourrait faire croire à un départ de souterrain. Après avoir dégagé les déblais sur 2m00 environ de hauteur, il a été trouvé le fond constitué par du terrain naturel résistant.

Recherches villa des Rochers

Sur indications fournies par M Pierre-Dubois, on a fait un sondage dans le mur ancien de la fortification d’Albert dans le jardin de la villa des rochers. Rien n’a été trouvé.

Villa des rochers, avant guerre

Recherches au n°3 de la rue

Sur indications de M. Villette parent de M. Arroulieul Dufourmentel, les Français ont trouvé à gauche d’un puits dont la maçonnerie obstrue la cave de la maison, un passage dont le débouché avait été obstrué. Derrière se trouve une chambre de 3m d’ouverture, se prolongeant par deux galeries de même ouverture. Celle de droite qui a environ de long [sic !] se termine en cul de sac. Celle de gauche se bifurque elle même en deux autres, l’une en cul de sac, l’autre débouche dans une chambre maçonnée dont l’escalier d’accès n’est pas apparent, étant recouvert par de nombreux déblais mais qui et indiqué par la pente que présente la voûte qui le surmonte. Après le déblaiement, il n’y a pas trace de galerie desservant les chambres.

Recherches rue A

Une dame habitant au n°9 rue A avait fait la déclaration suivante : il y a 35 ans (donc en 1880), en fonçant un puits dans le jardin du n°5, un ouvrier était tombé dans une excavation. Des gens qui étaient descendus dans cette excavation auraient suivi une galerie. Deux fouilles ont donc été entreprises en A et B du croquis ci-dessous.

La fouille B menée jusqu’à 6m de profondeur et complétée par des sondages à la barre à mine atteignant 9m à 10m n’a rien donné. La fouille A descendue jusqu’à 6m a été complétée par des sondages. L’un d’eux a révélé une excavation à une profondeur de 10m. La fouille poursuivie a permis de mettre à découvert une ancienne carrière de 15m de long, 5m de large et 4m de haut environ. Dans l’un des angles se trouve le puits à eau dont les maçonneries traversent ladite carrière. Il a été reconnu que le puits d’extraction de cette carrière se trouve derrière le puits à eau. Il n’y a aucune galerie prenant naissance dans cette carrière. Cette piste est également abandonnée.

Recherches 15 rue X, dans les caves de la maison Trancart

Une cave profonde voutée en maçonnerie paraissant ancienne présente à la clef de voute une buse d’aération. Les dimensions de cette cave sont de 280x180. Il a semblé qu’il pouvait s’agir d’une cage d’escalier d’accès aux souterrains. Un archéologie d’Amiens ont déclaré qu’il devait s’agir du donjon de l’ancien château. Elle est déblayée jusqu’à 7m50 de profondeur à partir du niveau du sol de la cour. Il a été alors trouvé le terrain naturel, craie, et les fondations des murs sont arrêtées dans ce terrain. Il n’existe pas de départ de souterrain. Dans la cave du "calorifère", sur un renseignement donné par Mme Trancart, le mur a été percé, et des galeries de recherches ont été faites derrière le mur. Les fondations des murs ont été mis à découvert, et ainsi trouvé le sol naturel, tuf, sans trouver trace d’anciennes galeries.

Recherches aux n° 2 et 4 de la rue A

Sur les indications de M Le Tesse, boulanger qui affirme que, lors de la construction des watercloset de la maison d’habitation n°4, il y a eu un effondrement provenant de l’existence d’une cavité sous les WC. Pour rechercher cette galerie qui se poursuivrait, deux sondages ont été pratiqués, de 5m de profondeur, dans chaque jardin du n°2 et n°4. Ces sondages n’ont donné aucun résultat

Recherches à l’usine Guillemin

Sur les indications d’un habitant d’Albert qui aurait déclaré être entré, étant jeune, dans un souterrain, quand on construisait les caves de la maison d’habitation de l’usine Guillemin, des fouilles ont été entreprises dans le jardin. A 5m environ de la façade du côté du jardin, une citerne a été mise à découvert, et entre cette citerne et la façade, la fouille faite a révélé l’existence d’une excavation remplie de déblais. Une autre fouille a été entreprise de l’autre côté de la citerne pour se rendre compte s’il s’agissait d’une galerie se poursuivant. D’après la profondeur de l’excavation, 3m50 environ, il s’agit très probablement d’une ancienne cave, remblayée, de la ferme qui se trouvait auparavant à l’emplacement de l’usine Guillemin.

Recherches 19 rue X

Se basant sur un plan des souterrains reproduit dans l’ouvrage de Daussy sur Albert, une fouille a été entreprise tant bien que mal, qui permet d’atteindre une grande chambre souterraine dénommée la Chapelle. Ont été alors entreprises deux fouilles dans la cave n°19, suivies de sondages et la profondeur de 12m50 a été atteinte à partir du niveau du sol. Le 1er sondage effectué à 2m environ du parement du mur de façade sur la rue a été poursuivi dans un terrain meuble, qui est probablement du remblai, jusqu’à une profondeur de 10m50, puis un terrain dur sur 1m00 environ. Une descente de 0m30 environ, qui parait correspondre à un vide, enfin sur 0m70 un terrain meuble qui parait être du remblai, enfin un terrain dur. A l’autre sondage, un terrain meuble a été trouvé vers 12m50, qui parait être du remblai. Là encore, point de souterrains.

Recherches dans la cour de la maison Trancart

Se basant sur les renseignements fournis par le plan de 1793, une nouvelle fouille est entreprise, comme l’indique le croquis ci-dessous [@@@NJF A VIRER MAIS RETROUVER DE DOC et le croquis de l’implantation ci-annexé.]

Après être descendu par gradins successifs jusqu’à une profondeur de 7m80 environ, la recherche se poursuit en puits et atteint une profondeur de 18m. Un sondage à la barre à mine de 1m50 de profondeur n’a révélé aucune cavité.

Un point à 1m environ de la nappe de l’eau a été atteint (la hauteur de l’eau est connue par une reconnaissance faite dans le puits voisin). Les militaires partent alors en galerie en rameau (toujours à 18m de profondeur) dans une direction sensiblement parallèle à la rue X, c’est à dire perpendiculairement au souterrain recherché. Une zone de 7m environ a ainsi été explorée.

Ensuite, à la profondeur de -15m50, une zone de 6m00 a été également explorée.

A la profondeur de 13m50, seuls deux sondages ont pu être commencés, le puits s’éboulant sous l’effet des petites explosions faites pour accélérer le travail.

Enfin à la profondeur de 11m50 une dernière galerie a été entreprise qui a enfin conduit au souterrain dont le niveau du sol se trouve à 12m00 à partir du sol de la cour Trancart.

Recherches sous le pensionnat Cordier

Ayant été arrêtés par la présence d’une trop grande quantité de déblais dans la galerie ouest-est du souterrain, les Français entreprennent un puits à la Boule (2) dans la cave du pensionnat Cordier. Ils ont pu ainsi rejoindre une chambre faisant suite à la galerie du souterrain. Cette chambre est vaste (longueur au moins 8m00 visible, largeur 4m00, hauteur au moins 6m00) ; et elle est presque complètement remplie de décombres, débris de pierres, pierres et terre noire.

Le dernier rapport date de juillet 1915

"En résumé, nous avons retrouvé un ensemble de galeries, avec chambres, qui devaient constituer un des étages des souterrains d’Albert. La branche qu’il nous était intéressant de suivre, celle se dirigeant vers la route de Bapaume est obstruée par des remblais. Il n’est pas certain que le souterrain se prolonge fort loin au delà, mais il nous paraissait utile de tirer la chose au clair et pour cela nous avions l’intention de faire un puits de 10m environ de profondeur dans la cour du pensionnat Cordier, à l’emplacement où nous avions déjà commencé une fouille de 4m de profondeur. Il suffit donc de descendre de 6m environ. Nous pensions ainsi retrouver la galerie qu’il nous était impossible de suivre à cause des remblais. Il peut se faire d’ailleurs qu’on ne trouve rien, ce qui donnera à supposer que le souterrain s’arrête là et qu’il n’y a pas de branche se dirigeant vers la route de Bapaume."

Est-il possible que cette galerie soit la cavité transformée en défense passive dans les années 30 et qui a été transformé en musée entre 1991 et 1992 ? C’est probable, mais pas certain. Le souterrain se trouve bien dans cette zone de la ville. La rue en question est bien sensiblement perpendiculaire au souterrain. Un dernier argument en faveur de cette hypothèse est la quantité de recherches entreprises par l’armée française en 1914 et 1915.

Il semblerait assez improbable qu’après tant de recherches ce souterrain ne fut pas découvert, alors que vingt années plus tard, il fut bien connu et transformé en abri de défense passive.

Mais, à l’inverse, à aucun moment il n’est fait mention de la basilique lors des recherches et des découvertes sur le terrain.

Alors, pour en avoir le coeur net, il ne reste plus qu’à fouiller les archives pour rechercher l’histoire de la construction de cet abri de défense passive, mais ceci est une autre histoire !

Report du plan du musée d’Albert sur le plan IGN

(1) transcription stricte des textes ; le lieutenant doit confondre avec le château d’Encre.

(2) puits à la Boule : Du nom de son inventeur. Puits carrés d’environ un demi-mètre de côté. Initialement creusés depuis la surface à l’aide d’outil (les louchets et dragues) sans qu’il soit nécessaire aux opérateurs d’y descendre ni de le coffrer. Par la suite, le puits dit « Ã  la Boule » est un puits vertical, coffré sur toute sa hauteur.