SOUTERRAINS & VESTIGES

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Le tunnel de Belle Assise (tunnel Quinson)

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vendredi 9 juin 2017, par JFW

17 mai 1916 Commencé le percement d’un tunnel de 162m, traversant le plateau de Belle Assise (lieutenant Bars, 2 caporaux, 15 mineurs zouaves, 15 hommes de la section spéciale de discipline).

Mais quel est donc ce tunnel, pourquoi a-t-il été foré ?

En avril 1916, dans l’Oise, vers Dreslincourt, les ravitaillements de toutes sortes parviennent au Centre de Résistence (C.R.) du Poste François et au C.R. du Hamel par une voie étroite. Ce chemin créé presque de toutes pièces par le 13e C.A., est d’un rendement très faible par suite de son tracé : il présente des pentes trop fortes, des tournants très brusques, sa voie est étroite.

carte des tranchées du secteur. le tunnel est en bas à droite (en vert)

D’autre part, très rapproché du front (200 à 300m en certains points), il est dominé par les "dessus des carrières" et les charrois sont entendus par l’ennemi. Il en résulte des bombardements fréquents qui causent des pertes, et tout récemment encore deux conducteurs du C.V.A.X. (1) y ont été tués ainsi que leurs chevaux. Les transports de jour sont maintenant impossibles, et la nuit, ils exigent beaucoup de précautions.

Des études ont été entreprises pour remédier à cette situation et ont permis de conclure que le chemin actuel ne peut être amélioré et que d’autre part, il est impossible de créer un nouveau tracé carrossable : le versant ouest du ravin du Hamel présente une pente excessive, des arrachements qui exigeraient des murs de soutènement et la visibilité resterait la même. Le général Girodon, qui a étudié cette question avec beaucoup de soin, s’est arrêté au projet suivant : il faut forer une galerie souterraine sous la crête, en vue de permettre de pousser jusqu’au poste François la voie Decauville déjà amenée jusqu’au pied de Belle-Assise.

chicane à l’intérieur du tunnel de construction tardive, certainement 1918

Les avantages de cette construction sont les suivantes : Le nouveau tracé du Decauville :

1° échappera aux vues de l’ennemi,

2° sera plus court de 1200m par rapport au tracé actuel,

3° exigera un entretien bien moindre,

4° donnera un meilleur rendement au point de vue des transports,

5° diminuera la fatigue des attelages et les risques des hommes,

6° évitera les transbordements de matériel,

7° soulagera le chemin Antoval - Belle-Assise dont l’entretien exige beaucoup de personnel et de matériel,

8° permettra de réserver ce dernier chemin au mouvement des voitures sanitaires,

9° permettra, en cas d’alerte, l’accès facile et sûr des réserves et leur offrira éventuellement un abri,

10° permettra l’établissement d’un réseau téléphonique à l’abri,

11° pourra servir en retour aux évacuations des blessés jusqu’aux voitures sanitaires.

sortie ouest

sortie est

Après avoir fait établir par le capitaine Bergoni le projet, le général Girodon résume ainsi son avis :

"J’attache une importance de tout premier ordre à ce projet, importance telle que je crois passer outre à toutes les objections que soulèveront les difficultés de main d’oeuvre, la nécessité d’autres travaux, la longueur du délai d’exécution. Je dois dire d’ailleurs que cette opinion ne m’est pas personnelle ; depuis que j’en ai émis l’idée, j’ai rencontré chez tous ceux de mes subordonnés que sa réalisation intéresse une unanime approbation complète qui n’a pu qu’affermir ma conviction de son utilité."

Partageant la même manière de voir, le général Codet (commandant la division du Maroc) donne son approbation à ce projet.

Une fois la décision prise, il est primordial, au vu des avantages constatés, de pousser rapidement la réalisation. Mais il ne faut pas que, pour ce travail, il en soit de même que pour tant d’autres qui, entrepris dans ce secteur, ont été abandonnés faute de moyens, et que tous les efforts dépensés deviennent vains. Un officier du génie a donc été désigné et chargé de faire une étude technique détaillée de l’entreprise ; les unités qui seront, en temps voulu, affectés uniquement à sa réalisation sont également choisies : section spéciale de discipline, fractions du génie. D’autre part il a été décidé que rien ne serait entrepris avant qu’un quart du matériel prévu par les devis ne soit rassemblé. C’est en effet la fourniture de ce matériel qui pose très souvent problème dans ce genre de travaux.

Le point choisi pour l’entrée du tunnel (voir le croquis des positions ci-dessus), est avantageux en ce qu’il permet la traversée du plateau dans sa partie la plus étroite.

Le tunnel aura une longueur de 161m80. Les dimensions de la galerie majeure règlementaires (2m de haut, 2m10 de large) sont suffisants pour qu’un animal, cheval ou mulet, de grandeur moyenne, puisse y circuler. Il est préférable d’employer des châssis de ce modèle dont les dimensions sont connues et qui existent dans les approvisionnements. Ces châssis spéciaux préparés en vue de la guerre de mine, confectionnés avec du chêne, ont de plus l’avantage d’être beaucoup plus solides que ceux fabriqués dans les autres scieries ou à la hache, avec du peuplier vert. Dans ces conditions, le matériel nécessaire pour le tunnel projeté est de : 162 châssis de galerie majeure (2m10 x 2m) en chêne, 3240 planches de coffrage de 1m20 de long, 0m04 d’épaisseur en chêne, 1620 planches de ciel de 1m20 de long, 0m04 d’épaisseur en chêne, 500m de tringles de mines 2 ventilateurs avec 150m de tuyaux. bâches de camouflage

Exécution et durée du travail Si on en juge par les nombreuses fouilles faites dans le voisinage, la nature du terrain serait de sable assez fin mélangé à de petites couches d’argile, généralement considéré comme mauvais terrain, en tant qu’exécution matérielle du travail. Des précautions spéciales seront à prendre en tête de galerie (masque) pour éviter les éboulements. A moins de retard imprévu (éboulements, rochers) la galerie majeure peut être conduite à raison de 1m d’avancement par 8 heures de travail. En commençant le travail des deux côtés en même temps, ce qui est possible en faisant au préalable une étude approfondie et en prenant des dispositions pour camoufler soigneusement les terres en déblais du côté de l’ennemi, l’exécution de ce travail demanderait 90 jours.

Cette durée pourrait être réduite de 2/3, soit un mois en faisant exécuter le travail par 3 équipes à chaque attaque (24 sapeurs +50 auxiliaires) travaillant de jour et de nuit en se relevant toutes les 12 heures.

Les travaux commencent effectivement le 17 mai 1916 pour percer le tunnel de 162m, traversant le plateau de Belle Assise

Comme bien souvent le tunnel a plusieurs noms ; on le connait également sous le nom de tunnel Quinson (du nom du capitaine Quinson, commandant la compagnie 19/2M) ou tunnel Antonval

Le 16 juin, le tunel, attaqué par les deux bouts, atteint 104m ; le 7 juillet, les deux tronçons sont débouchés par sape russe. Comme il s’agit d’un tunnel de communication pour Decauville, il n’a pas besoin d’aménagements intérieurs spécifiques et il est donc achevé le 12 juillet

Commence alors la voie Decauville entre le tunnel et le Poste François. Les 1100m sont achevés fin juillet. En août, la voie Decauville est prolongée jusqu’au Hamel.

Cette voie de communication va servir d’août 1916 à mars 1917, date à laquelle les Allemands se replient sur la ligne Hindenburg

A noter que le Poste François englobe la carrière souterraine éponyme, dénommée également carrière Sidi Ferruch.

A cette carrière devait aboutir, paraît-il, une énigmatique galerie (attaque par la mine ? (2)) qui fera l’objet du prochain article

(1) Convoi auxiliaire

(2) Les souterrains de la grande guerre, d’Attiche aux cinq piliers Jean-Yves Bonnard, Didier Guénaff éditions A Sutton, octobre 2007