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Enquête au 91e RI (première partie)

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vendredi 24 juin 2011, par JFW

Le caporal Georges Duperrin, de la classe 1914, à la 10e compagnie du 91e régiment d’infanterie envoie le 23 mai 1916 la lettre suivante

Mademoiselle J. Widt

Auxiliaire d’infirmerie

Gare Porte Neuve

Dijon

Cote d’Or

Aux Armées le 23-5-16

Cher mademoiselle, C’est comme toujours avec un bien bien grand plaisir que j’ai reçu avant hier votre aimable lettre, et hier l’admirable colis, vous avez voulu me gâter par vos douceurs. Que de bonbons ! Jamais je crois je n’en avais autant mangé car je vous dirai que je ne suis pas gourmand, je le serais davantage sur le tabac, mais je les ai trouvé excellent.

Le chocolat, qui est très plaisant à manger avec un bout de pain le matin ou le soir au goûter m’a fait aussi beaucoup de plaisir, ainsi que des gâteaux au pain d’épices que tous mes camarades comme moi s’en sont comme l’on dit "léchés les doigts".

Je vois que vous, comme tous ceux à qui j’ai envoyé la même photo qu’à vous, avez été surprise à me voir si gros et cependant je vous promets que je n’ai pas changé depuis que vous m’avez vu, c’est la pose que j’ai qui fait cet effet, moi-même en me voyant j’en ai été surpris, enfin ce n’est à mon désavantage. Je parrai (sic) presque le double de ce que je suis en réalité.

Puisque vous aimez à ce que l’on vous raconte des faits de guerre, je vais vous dire la distraction que nous avons eu ce matin

(#)

Entendant les boches qui enfonçaient des piquets dans leur tranchée et ne pouvant les faire arrêter en leur lançant des grenades, dégoutés de tant de toupet nous avons pris des cailloux et leur avons lancés dessus, amusés eux aussi par cette représailles de projectiles, ils se sont mis à nous causer, nous leur avons répondu, puis voyant qu’ils n’avaient pas l’air très farouches, nous leur avons lancé un morceau de pain avec lequel j’ai mis un morceau de votre chocolat (vous ne m’en voudrez-pas ?), à leur tour ils nous ont envoyés de leur pain K.K. et du sucre, puis des journaux et enfin une grande conversation s’est faite. Un des leurs s’est enhardi à montrer sa tête puis voyant que nous ne tirions pas dessus, 2, 3, 4 se sont montrés aussi. Alors, comme eux, nous nous sommes montrés et par curiosité nous sommes regardés ainsi pendant 1/4 d’heure. Comme un de nous fumait un cigare, un boche lui dit qu’il voudrait bien en fumer aussi et s’il ne pourrait pas lui en vendre, aussitôt nous avons satisfait à son désir, et comme paiement nous a envoyé un mark et un paquet de leur tabac, un des leurs connaissait justement le français et un lieutenant de chez nous l’allemand, c’est ainsi que nous avons pu nous comprendre. Sur une de nos questions, ils ont répondu qu’ils en avaient assez de cette guerre, mais qu’ils étaient sûrs de leur victoire.

(#) Bon ! J’apprends à l’instant que ce soir malgré que ce n’est pas le jour, nous sommes relevés, c’est fort dommage sans celà c’eut été été intéressant d’être ici.

Dans l’espoir à mon tour de vous lire bientôt, recevez, mademoiselle, mes amitiés les meilleurs et sentiments respectueux. Bien à vous, un Poilu

[NJFW : en marge de cette lettre sont annotées plusieurs phrases, retranscrites ci-dessous]

  • Ci-joint un morceau de pain boche
  • Nous changeons soit disant de secteur et allons sur Verdun, un bataillon de chez nous est déjà parti ; ce n’est pas très bon et ne veut rien dire de meilleur. Enfin ! Si j’ai le bonheur de revenir de ce qui va s’y passer ce que j’espère, c’est donc pour le coup que je pourrais vous satisfaire, pas ? J’aurais de quoi vous raconter.

lettre envoyée le 23 mai 1916 (source : Service Historique de la Défense (SHD), Vincennes)